Attendu depuis 1983, le deuxième album de l’actrice iconique est parcouru d’une avalanche de duos avec des chanteurs prestigieux.
Une véritable arlésienne. Depuis les années (décennies ?) que bruissaient les rumeurs du second album de la voix éternelle de Pull marine (sorti en 1983, composé par Serge Gainsbourg), on avait fini, tel saint Thomas, par ne plus croire à sa sortie. À la manière d’une autre fameuse actrice-chanteuse partageant le même compositeur pygmalion, Charlotte Gainsbourg, qui avait laissé passer vingt ans entre ses deux premiers albums, Isabelle Adjani aura patienté le double – oui, quarante ans exactement ! – avant de nous offrir aujourd’hui sa Bande originale – titre idoine pour l’une des dernières icônes vivantes du cinéma français des années 1970-1980.
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D’ailleurs, le générique des interprètes invités à chanter à ses côtés sur le disque en dit long sur le temps écoulé, entre les vieilles gloires eighties – Peter Murphy (Bauhaus), Simon Le Bon (Duran Duran), Youssou N’Dour –, les chanteurs indémodables – Étienne Daho, David Sylvian, Benjamin Biolay –, et les figures tristement disparues – Daniel Darc, Christophe, Philippe Pascal (Marquis de Sade) –, bouleversants tour à tour. “Il y a le chagrin que ces trois artistes ne soient plus là, mais aussi un souffle de vie qui passe par ce souffle de mort”, reconnaît Isabelle Adjani, qui a initié ce disque avec Pascal Obispo – et son parolier Lionel Florence – il y a des lustres, avant que l’électronicienne Cécile DeLaurentis ne le coréalise avec lui.
Un casting XXL
Si les présences de Gaëtan Roussel, Akhenaton et surtout Seal pourront surprendre, ce casting XXL résume assez bien l’éclectisme musical d’Isabelle Adjani, qui est enfin réapparue sur un album de Christophe en 2008 (Wo Wo Wo Wo en ouverture d’Aimer ce que nous sommes) et a interprété Quelques mots aux côtés de Malik Djoudi en 2021.
Ici, Où tu ne m’attendais pas, le titre de son duo avec Christophe, est une bonne piste pour appréhender la suite inespérée de son album de 1983, l’année où elle triomphait à l’écran dans Mortelle Randonnée (de Claude Miller) et surtout L’Été meurtrier (le film de Jean Becker qui lui valut l’un de ses cinq César de la meilleure actrice).
Intrigant, sinueux et profond, Adjani, Bande originale se déroule précisément comme un film sonore, avec un prélude, un climax et une fin. “This is the story of an actress/This is the story of a once girl/Isabelle Adjani”, annonce Peter Murphy de sa voix gutturale en un préambule ourlé sur un tapis de cordes. L’intéressée le résume comme “l’expérience d’un état au féminin de recherche amoureuse identitaire, qui passe par la déception et de temps en temps un peu d’espoir. Cela fait comme un film sans images.” Car Isabelle Adjani a volontairement choisi de chanter seule en studio, sans duettiser en vis-à-vis avec ses invités complices et admirés. “J’ai mis du temps à admettre que si l’on s’intéresse à ma voix, c’est qu’on s’intéresse à moi. Il existe des voix inoubliables, uniques, puissantes. Serge Gainsbourg n’aimait pas les chanteuses à voix. Il aimait le souffle, le murmure.”
Vibration magnétique
Dans une ambiance en clair-obscur très cinématographique donc, Adjani, Bande originale offre aussi un certain dépaysement, avec l’usage répété du koto et du shamisen, deux instruments traditionnels japonais. À intervalles réguliers, cette inclination se lit autant dans les titres (Samouraï, Shamisen, Hara-Kiri, Japan Airlies) que dans l’atmosphère générale de l’album.
Sur le bien nommé Japan Airlies, Isabelle Adjani et Peter Murphy s’envolent littéralement pour le pays du Soleil-Levant dans une complicité vocale que l’on n’aurait pas soupçonnée, tandis que sur Il manque un mot, elle convoque le chanteur inimitable de… Japan, David Sylvian, qui lui donne magnifiquement la réplique en anglais (“To say it/To write it/There’s one word missing”). Dans la plus belle chanson en duo avec Benjamin Biolay (Il ne manque plus que tu me manques), Isabelle Adjani s’amuse d’elle-même : “Il ne manque plus que je me planque/Derrière des lunettes fumées.” Se considérant toujours comme une actrice qui chante, la chanteuse popularisée “dans un état proche de l’Ohio” fait aujourd’hui entendre sa “vibration magnétique” dans ce film imaginaire à la bande originale sans tubes, mais pas sans audace.
Adjani, Bande originale (Parlophone/Warner). Sortie le 10 novembre.
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