Le documentaire “Ménopositive”, d’Anne Cutaia, ainsi que plusieurs publications ou prises de parole, incitent à changer de regard sur la ménopause.
Longtemps coincée dans les rayons développement personnel des librairies et associée à une imagerie déprimante aux nuances EHPAD, la ménopause s’offre une hype inédite. En écho à la Journée mondiale de la ménopause, qui a lieu chaque année le 18 octobre, les productions sur le sujet abondent, et le ton se renouvelle en sortant du cadre médical et professoral pour s’ancrer dans l’intime. L’explosion de ce dernier tabou du corps féminin permet l’invention d’un nouveau récit.
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Dans Ménopositive, un documentaire d’Anne Cutaia diffusé sur Teva, cette période de la vie des femmes qui se caractérise par l’arrêt de l’ovulation et la disparition des règles, et qui se produit en moyenne à 51 ans, est envisagée comme “un chemin” qui mène à tous les possibles et un événement porteur d’émancipation. “Je ne voulais pas faire un film scientifique, mais aborder la question par le prisme de mon expérience. Pour moi, ce n’est pas un problème médical mais une question intime, dont je parle avec mes copines. Je voulais comprendre ce que raconte ce passage où le regard sur toi change”, indique la réalisatrice de 43 ans qui commence, comme les amies quadragénaires drôles et cash qu’elle filme lors d’un dîner estampillé “mères indignes”, à ressentir les signes avant-coureurs de l’entrée en ménopause.
“Je me trouve dans une phase qu’on appelle le ‘climatère’, plus exactement dans la ‘périménopause’, une période d’une durée indéfinie pouvant s’étendre jusqu’à dix ans avant les dernières règles, le point final de ma fertilité, la véritable ménopause”, écrit Miriam Stein, 44 ans, dont le livre Bouffées de chaleur vient d’être traduit de l’allemand chez Zones, la très classieuse et exigeante collection de La Découverte qui abrite les livres de Mona Chollet. Dès la quarantaine, les femmes s’emparent des outils à leur disposition pour aborder, au “je” et sans tabou, le sujet de la ménopause. Comme Fiona Schmidt, la journaliste et essayiste de 42 ans, autrice cette année de Vieille peau, les femmes, leur corps, leur âge (Belfond), qui postait ce mercredi sur son compte Instagram ultra suivi cet extrait de la série Fleabag, où Kristin Scott Thomas s’exclame que “La ménopause, c’est la meilleure chose sur Terre, nom de dieu!”. Autre avatar de ce changement de paradigme, et le plus glamour s’il en est, Gwyneth Paltrow parle depuis plusieurs années de sa ménopause et posait début octobre en compagnie de Tasneem Bhatia, autrice du livre The Hormone Shift, dans un post Instagram à la gloire de la ménopause.
Car la ménopause n’est plus seulement discutée et incarnée, elle est désormais célébrée. D’épée de Damoclès, de fatalité qui signe l’entrée pour les femmes dans la vieillesse et l’oubli, elle est en passe de devenir horizon désirable. C’est notamment ce que défendent la chanteuse Lio et l’autrice Élise Thiébaut dans le documentaire d’Anne Cutaia. La première, ménopausée très jeune, à 45 ans, y raconte comment, depuis cet âge, elle a pu explorer sa sexualité en dehors de la procréation -avant de préférer la masturbation. La seconde évoque l’intérêt de la ménopause pour “aborder la sexualité autrement”. Et considère aussi les effets positifs de cette nouvelle phase hormonale sur son bien-être global. “J’ai cessé d’être frileuse, c’était super chouette, j’ai bien aimé. J’ai vécu des expériences de nudité parce que ce n’était pas possible de ne pas être nue. […] C’est une sensation que je n’avais jamais vécue de ma vie”, se réjouit-elle. Ou bien, “quand je suis arrivée à la ménopause, comme je souffrais d’endométriose, j’ai cessé d’avoir mal.”
“On ne va pas se mentir, avoir ses règles tous les mois, c’est chiant!”, réagit Anne Cutaia. “Et c’est pire quand tu fais partie des millions de femmes qui ont de l’endométriose ou de l’adénomyose. Et puis, c’est super de pouvoir avoir des relations sexuelles sans craindre de tomber enceinte”, appuie la réalisatrice. Pour Sophie Kune, 53 ans et derrière le compte Instagram Menopause stories, qui est aussi interviewée dans le documentaire, la ménopause marque “l’ouverture d’un nouveau chapitre”. “Je me sens forte comme jamais”, affirme-t-elle, parlant même d’une “urgence à vivre”, d’une possibilité d’“affirmer nos désirs profonds”. “Ce temps pris pour ton corps, tu peux l’appliquer au reste de la vie”, conclut quant à elle la comédienne Marie-Sohna Condé.
Dans son post du 18 octobre, celui où elle mettait en avant la scène de Fleabag, Fiona Schmidt écrivait, dans la lignée du monologue imaginé par Phoebe Waller-Bridge: “La souffrance physique et psychologique sont constitutives, indissociables de la féminité, qui consiste à serrer les dents et sourire. Dans cette perspective, en effet, la ménopause libère les femmes cis de cette souffrance qu’elles portent en elles depuis la puberté. Fini, la peur de tomber enceinte, le grand huit hormonal, l’utérus comme un terrain de rugby tous les mois: QUEL PUTAIN DE SOULAGEMENT, QUEL IMMENSE KIF!!” Pour Anne Cutaia, comme pour Fiona Schmidt, il y a derrière cette nouvelle “ménopositivité”, un geste ’“éminemment politique”, pour citer la première. “C’est une hérésie de penser qu’à partir de 50 ans, c’est fini. Il faut arrêter de dire que c’est la fin de quelque chose et l’appréhender plutôt comme un début”, dit-elle, quand la seconde s’insurge: “Pathologiser la fin de la fertilité, l’associer exclusivement au manque ou à la perte -de féminité, de santé, de capacités physiques, de sens-, tout cela réduit notre identité sociale à la maternité, et transforme les femmes cis en une masse d’individus interchangeables dont l’essence est la procréation.”
Bien entendu, l’arrivée de la ménopause n’est pas uniquement la période de plénitude que veulent mettre en avant les voix féministes d’aujourd’hui. “Au sujet des symptômes, on dit qu’ils sont forts pour un tiers des femmes, moyens pour un autre tiers et inexistants pour le dernier tiers”, écrit Miriam Stein. Ces symptômes vont des bouffées de chaleur, qui ont donné leur titre à son livre -et dont Lio explique avoir souffert pendant plus de 10 ans-, à l’insomnie ou l’irritabilité, en passant par le développement de certaines maladies cardiovasculaires ou de l’ostéoporose, et entraînent avec eux de nombreux désagréments plus ou moins invalidants. “On ne peut pas nier les inconvénients, comme un tas de douleurs corporelles qui sont liées au vieillissement et à la descente hormonale”, veut rappeler Anne Cutaia, pour qui il faudrait accompagner les femmes dans cette étape au niveau politique. “On parle en ce moment de congé menstruel, moi je pense qu’il faut un congé pour la ménopause car plein de femmes sont en grande douleur à certaines périodes. Il faudrait que nos dirigeants s’emparent de la question pour que les femmes concernées, dont certaines se retrouvent en errance médicale, puissent être prises en charge de manière plus conséquente”, plaide-t-elle. En attendant un projet politique digne de ce nom, poser un regard neuf sur la ménopause ou, pour citer Miriam Stein, “dire la ménopause autrement”, avec une “langue qui ne sombre ni dans la pathologisation, ni dans le jugement”, est un prérequis que certaines ont bien compris.
Ménopositive, d’Anne Cutaia, Téva, 52 min.
Bouffées de chaleur – briser le tabou de la ménopause, de Miriam Stein, traduit de l’allemand par Jenny Bussek, Zones, 192 pages, 18,99 euros.
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