La section “Trésors et Curiosités“ du festival Lumière a exhumé un très film portugais d’une grande rareté sorti en 1965, “Les Îles enchantées” de Carlos Vilardebó. Un film qui met en scène l’immense Amália Rodrigues.
Cette semaine au Festival Lumière de Lyon, dans le cadre de la section “Trésors et Curiosités”, les spectateur·rices pourront découvrir un film portugais rare, auréolé à divers titre d’un prestige énigmatique : Les Îles enchantées de Carlos Vilardebó (1965). Cette aura tient à plusieurs composantes : la quasi-invisibilité du film après une sortie discrète mais remarquée au cœur des années 1960 (en France, la critique fut excellente, notamment dans Le Monde et les Cahiers du cinéma) ; la présence à son casting de la plus grande star portugaise du XXe siècle, la chanteuse et déesse du fado, Amália Rodrigues ; la présence à ses côtés du jeune acteur français icône des aventures les plus créatives de la modernité cinématographique (Rivette, Garrel, Buñuel, Pasolini…) Pierre Clémenti ; et enfin le caractère de diamant solitaire dans l’œuvre de son auteur : Carlos Vilardebó donc, qui fut assistant de Julien Duvivier et Agnès Varda, réalisa beaucoup de courts métrages et de documentaires pour la télé, mais n’a réalisé qu’un seul long métrage de fiction pour le cinéma, celui-là, Les Îles enchantées. Et c’est une merveille.
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Le film est une adaptation d’une nouvelle d’Herman Melville et campe donc un territoire maritime fait de tempêtes, de naufrages, d’attractions troubles, de terres inconnues et de surnaturel qui rôde. Un commandant portugais (interprété pourtant par l’acteur français Pierre Vaneck, blond magnétique au jeu doux et contenu) sillonne les mers du Sud et découvre un couple de naufragé·es sur une île hostile, presque uniquement constituée de roches. D’une part, une femme presque mutique (Amália Rodrigues), venue sur l’île avec son fils et son mari pour chasser des tortues de mer géantes et extraire leur huile, et qui se retrouve seule après la disparition de son conjoint et de son enfant. D’autre part, un jeune marin français (Pierre Clémenti), dont le navire a fait halte sur cette île, et qui après que le reste de l’équipage a maltraité cette veuve solitaire, fait le choix de rester avec elle pour entrer dans une relation étrange faite de dévotion, de désir et de défiance.
Mystère et secret
Pour son adaptation de Médée, Pier Paolo Pasolini avait choisi pour incarner cette mère infanticide la plus grande voix du XXe siècle, Maria Callas, mais pour un rôle dans lequel elle ne chantait jamais. C’est le même double effet d’amputation et de révélation (de ce qu’il reste du charisme d’un corps lorsqu’on le prive de ce qui a assis sa légende) qu’opère Les Îles enchantées avec Amália Rodrigues. La mythique interprète de fado y est démunie de sa voix. Son silence est comme un long reproche, une interrogation et un soupçon jetés sur ce monde d’hommes. Et ce n’est pas seulement dans ce parti pris de ne pas faire chanter une des plus belles voix au monde que Les Îles enchantées évoque Médée et plus généralement Pasolini. Même façon de faire sourdre des géographies désirantes dans des topographies de désert. Même hantise de la tragédie antique. Même sécheresse climatique (des décors de sable et de pierres) et esthétique (la mise en scène de Carlos Vilardebó opère par coupes sèches, le montage est tranchant, les plans sont des couperets), même atmosphère d’opacité, de mystère et de secret dans la pleine lumière et la chaleur écrasante d’un soleil de plomb.
Grâce à l’initiative de la Cinémathèque portugaise, et dans le cadre du projet FILMar (réunissant des fonds européens au bénéfice de la restauration, digitalisation et diffusion des films), ces Îles enchantées reviennent donc exercer leurs sortilèges. Le film devrait être distribué en salle au Portugal en février prochain. Souhaitons que ce retour en lumière au festival lyonnais permettra au film de trouver un distributeur français.
Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 18 octobre. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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