C’est perché aux sixième et septième étages d’un immeuble occupé par la foire Paris Internationale, que Luca Pronzato a niché sa dernière expérience gastronomique. Pour ce nouveau pop-up, le fondateur de We Are Ona s’est entouré de la cheffe Dalad Kambhu et du designer Harry Nuriev pour un résultat stupéfiant. Et si pour une fois, on dînait dans l’arrière-cuisine ? Rencontre avec la tête pensante d’un collectif qui réveille la gastronomie contemporaine.
Sa dernière expérience, dépliée pendant Paris+, nous invite à pénétrer l’essentielle et invisible dishwashing area pour y déguster, dans de fausses assiettes sales, la cuisine en 5 (au déjeuner) ou 8 (dîner) temps de la cheffe étoilée Dalad Kambhu (installée à Berlin, née à Austin et d’origine thaïlandaise).
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Un écrin brutaliste, dans lequel Luca Pronzato, Harry Nuriev et son Crosby Studios ont installé de larges tables en inox façon batterie de cuisine. Une nouvelle fois, le studio We Are Ona mêle avec un certain art du storytelling, design, architecture et cuisine pour une expérience de haute gastronomie dont on aimerait tous·tes être témoin. Avec Luca Pronzato, le ventre encore vide, nous avons pris le temps de remonter le temps, de l’épicerie italienne de ses parents au Palazzo vénitien dans lequel s’est déroulé l’un des premiers pop-up We Are Ona.
Comment est née cette passion infinie pour la food ?
Luca Pronzato – D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours travaillé dans la restauration, dans l’épicerie fine italienne de mes parents, puis dans des petits restos, dès que j’ai eu officiellement le droit de travailler. À 18 ans, tout en suivant un cursus de gestion à la Sorbonne, je bossais dans des bars à vins spécialisés dans le vin naturel, et à 22 ans, je suis parti faire un tour du monde du vin avec l’organisation internationale du vin et de la vigne. J’ai parcouru une trentaine de pays en onze mois, j’étais, du soir au matin, avec des vignerons. Je suis sommelier de formation. Ce n’est qu’ensuite que j’ai intégré l’équipe du Noma à Copenhague. Je suis resté quatre ans là-bas et en partant, j’ai monté We Are Ona.
Donc ton premier amour, c’est le vin ?
Le vin, c’est un produit que tu continues à découvrir tous les jours, c’est un produit vivant. Chaque année est différente, en fonction d’un terroir, d’un vigneron, d’un climat. Culturellement parlant, c’est aussi un produit incroyable, très enrichissant. Je crois beaucoup en l’ouverture d’esprit et au voyage comme forme première de l’intelligence. Le raisin, tu le trouves dans beaucoup de pays et de cultures !
Le monde entier a découvert Noma (l’un des meilleurs restaurants du monde, fermé aujourd’hui) cet été avec la saison 2 de The Bear. Qu’est-ce que cette expérience t’a appris ?
J’ai eu la chance d’arriver au premier Noma et de participer au pop-up au Mexique, dans le Yucatán. Ça a été une grande école pour moi. C’est chez Noma que j’ai appris à créer une expérience culinaire dédiée et personnalisée pour chaque guest. Au Noma, où j’étais chef de rang, j’ai eu la chance de côtoyer des personnes très talentueuses de toutes les régions du monde.
C’est là-bas que tu as eu l’idée de créer We Are Ona ?
J’ai toujours voulu monter un projet qui rassemble horizontalement une communauté dans l’univers dans la cuisine. Je suis un grand défenseur du restaurant traditionnel, mais je voulais vraiment créer un modèle qui permette à des jeunes talents de la gastronomie de s’exprimer à travers des expériences culinaires uniques et éphémères.
Ona vient du catalan, et signifie vague. Ce studio, que tu as créé en 2019, c’est une sorte de “nouvelle” vague ?
C’est une vague de jeunes talents qui rassemble, et qui se renouvelle sans cesse. Une communauté qui n’est jamais fermée. Chaque vague est différente et c’est ce qui nous plaît : de créer des projets qui sont différents chaque jour.
En parlant de projets, We Are Ona joue sur deux plans, à fois en imaginant des restaurants pop-up un partout dans le monde – de Los Angeles à Zermatt, Milan ou Venise – et en proposant vos services (des dîners sur mesure notamment) à des marques comme L’Oréal, Chanel ou encore Instagram. Comment les deux s’articulent-ils ?
Aujourd’hui, le studio propose deux grandes activités, des pop-up culinaires dans des lieux, ouverts au public, mais qui ne sont pas des restaurants, et le studio créatif. La partie B to C (business to client, ndlr) nous permet de nous exprimer librement, avec énormément de contraintes, mais que l’on s’impose. Le côté B to B (business to business, ndlr) nous permet de nous exprimer à travers l’histoire d’autres personnes, d’autres projets. Ça nous donne un cadre créatif que l’on peut dépasser, grâce à la cuisine. Notre médium de création, c’est la food. C’est hyper-intéressant de pouvoir entrer dans l’univers de marques comme Gucci, Jacquemus, Chanel… de pouvoir proposer des idées créatives en lien avec la gastronomie et l’histoire de ces marques.
D’autant que l’on est vraiment libre dans notre démarche créative. Quand une marque nous contacte, on n’a pas besoin de mettre en avant un talent ou un autre, on va vraiment chercher grâce à notre connaissance du milieu et notre amour de la restauration, le talent qui correspond parfaitement avec le projet.
Comment imagines-tu tes pop-up ?
Je commence souvent par le lieu. Je suis très inspiré par ce qui se trouve autour de nous, par des mouvements comme le Wabi-sabi… J’aime trouver des lieux qui respectent l’idée que je me fais, parfois très spontanément, de la ville dans laquelle je suis. À New York, ce sera le trentième étage d’une tour, à Venise un petit palazzo, à Silver Lake un parking… J’aime trouver des espaces qui respectent la ville, son histoire et l’image que l’on peut s’en faire. L’autre critère, c’est qu’il ne soit pas connu des locaux. Que l’on soit visiteur ou local, on aura toujours un cadre qui créera une expérience. L’expérience pour moi, c’est une addition de détails. Ce n’est pas que la bouffe ou le vin, c’est le lieu, la scénographie, ce que l’on met dedans, etc. L’expérience culinaire va permettre de créer un souvenir.
Quelle expérience avez-vous prévue pour le pop-up parisien en collaboration avec Crosby Studios ?
Pour Paris+, on cherchait un lieu dans le centre de Paris qui respecte l’histoire artisanale et industrielle de Paris. C’est comme ça qu’on a trouvé un lieu en collaboration avec la foire Paris Internationale. C’est un vieux bureau de télécom dans le Xe arrondissement de Paris aux 6e et 7e étage, un endroit très brut et très incisif. On a voulu rendre hommage aux coulisses, aux plonges des restaurants à ce que l’on voit moins. On a créé, avec Harry Nuriev et son Crosby Studios, un évier géant, et les guests vont déjeuner ou dîner dans des plats sales. Il n’y a pas trop de limites à la créativité. En cuisine, ce sera la cheffe Dalad Kambhu du restaurant Kin Dee à Berlin, une adresse qui m’a bouleversé.
Le menu du déjeuner est à moins de 100 euros, ce qui reste tout de même relativement “accessible” pour ce genre d’expérience culinaire haut de gamme. C’est une volonté ?
C’est important que le pop-up reste dans une démarche gastronomique abordable. On essaye de faire au mieux, à nous d’être créatif et de réussir à équilibrer les choses.
Certains pop-up vous ont plus marqué que d’autres?
Que ce soit chez moi à Paris ou en voyage, ce sont toujours des événements très forts en émotions. J’ai à chaque fois des souvenirs intenses. La première fois à Venise dans l’ancien petit palais de Casanova c’était hors du temps. C’est une ville, elle-même, hors du temps. Quand tu as la chance d’y vivre pendant plusieurs jours, tu rentres dans un truc complètement déconnecté, et en même temps, c’était pendant la biennale, donc la ville explosait en créativité. Thomas Coupeau avait pensé un repas inspiré du lagon, c’était incroyable. Isabelle Huppert et Julianne Moore sont même venues déjeuner ensemble ! Il y a eu aussi le pop-up avec Mory Sacko et Harry Nuriev à New York, en haut de la City, avec vue sur le Brooklyn bridge. Ce sont des souvenirs qui marquent à vie. Des souvenirs hyper-fraternels.
Quelles sont vos prochaines destinations ?
On sera prochainement à Miami, dans un vieux motel des années 1950, pendant une foire de design qui s’appelle Alcova, une foire indépendante. Ce sera un motel sur l’eau, un pop-up autour d’une vieille piscine. À Paris, on va faire notre traditionnel pop-up de fin d’année, et 2024 s’annonce comme une grande année avec beaucoup d’événements, notamment à Hong Kong.
WE ARE ONA x Crosby Studios, du 17 au 22 octobre 2023 au 17 rue du Faubourg Poissonnière, 75010 Paris. Déjeuner en 5 temps 95 euros par personne. Dîner en 8 temps : 135 euros par personne. Accord mets et vins : 80 euros par personne.
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