Un jeu de cuisine bouillonnant d’idées qui s’affranchit des codes et règles du genre pour mieux régaler les gourmets.
Quoi de plus beau à regarder qu’une dizaine de toasts jaillissant en musique de leurs grille-pains respectifs ? Peut-être une danse aérienne de donuts sur fond bleu ou une douche de vermicelles en sucre colorés sur une mini-baignoire rose où reposent d’appétissantes boules de glace. De la frénésie collective d’Overcooked à la bonhomie juvénile de Cooking Mama en passant par le perfectionnisme tendu des Cook, Serve, Delicious! et l’émouvante fiction intime Venba, le jeu de cuisine est presque devenu un genre à part entière.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Mais c’est une approche très singulière de ce dernier que propose l’artiste américain TJ Hughes, alias Terrifying Jellyfish, avec Nour: Play with Your Food. Car, dans cette collection de vingt niveaux figurés chacun par une place autour de sa grande et luxueuse table, il n’y a pas vraiment de buts ni de règles et même la nature exacte de ce qu’il est possible d’y réaliser demeure longtemps incertaine. Alors on essaie, on appuie sur les touches de la manette et on voit ce que ça fait.
Un jeu vidéo libéré des contraintes du score et des défis
Présenté comme “expérimental”, Nour l’est d’abord par la démarche qu’il nous invite à adopter. En cela, il apparaît comme un héritier pince-sans-rire des créations plus ouvertement burlesques de Keita Takahashi, le père de Katamari Damacy et, plus récemment, de Wattam. A ceci près que Takahashi aime les puzzles (à résoudre) et les nombres (taille des objets, distances, etc.) là où Nour tourne le dos à ces idées omniprésentes dans le jeu vidéo que sont la mesure et la compétition.
Pas de chiffres dans le restaurant interactif de TJ Hughes jusqu’au moment tardif et largement ironique de l’addition (où l’on se plaît à laisser un pourboire de 500 %), mais une action qui se suffit à elle-même et dont les résultats voulus ou non (un hamburger grandit jusqu’à la lune, la table du petit déjeuner déborde de pancakes et de bacon…) sont l’unique récompense, d’autant plus précieuse qu’elle est éphémère.
Une célébration simultanée de l’harmonie et du chaos
Nour n’est pas seul à militer ainsi implicitement pour un jeu vidéo libéré des contraintes du score et des défis. Dans le registre du city-builder héritier de Sim City, le très zen Townscaper ou le minimaliste The Block ont aussi, ces dernières années, démontré les bienfaits d’une approche à la fois précise et détendue du médium, jusqu’à être parfois perçus davantage comme des jouets que comme des jeux.
Mais Nour va plus loin en accordant une place centrale à la comédie à travers notamment l’utilisation d’accessoires plus (colorant alimentaire, attendrisseur à viande…) ou moins (pistolet laser) directement liés à l’univers de la cuisine. Sauf que ce qui pourrait apparaître comme transgressif ne l’est nullement dans ce jeu qui célèbre la puissance expressive des formes, matières et couleurs et ne refuse la performance au sens (e-)sportif du terme que pour l’embrasser généreusement dans son acception artistique.
C’est un son – la musique est formidable – et lumière ébouriffant, une célébration simultanée de l’harmonie et du chaos qui flatte en nous autant l’esthète rêveur que le sale gosse qui se croit rigolo. C’est un merveilleux cadeau.
Nour: Play with Your Food (Terrifying Jellyfish/Panic Inc.), sur PS4/PS5, Mac et PC, environ 15€.
{"type":"Banniere-Basse"}