Pour les 10 ans de Cheek, une personnalité féministe revient chaque jour sur sa décennie. Aujourd’hui, Taous Merakchi.
Ancienne plume du site Madmoizelle, où elle écrivait sous le pseudo Jack Parker, et créatrice du blog Passion menstrues, où elle brisait en pionnière le tabou des règles, Taous Merakchi est l’autrice de plusieurs ouvrages indispensables, parmi lesquels Le Grand mystère des règles (2017) ou Vénère (2022). L’autrice et sorcière, dont le goût pour l’occulte n’a pas attendu la hype, a aussi créé le podcast Mortel, qui abordait frontalement la question de la mort, ainsi que Feu de camp, qui s’intéresse au Paranormal. En 2023 elle a déjà publié une BD en début d’année et, après Wendy Delorme ou Pauline Harmange, elle publiera Le Paon le 8 novembre, dans l’impeccable collection Bestial chez JC Lattès, dirigée par Isabelle Sorente. Elle revient avec nous sur cette décennie bien chargée.
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Quelles avancées féministes t’ont le plus marquée?
Celles sur la question des menstruations, parce que j’ai gardé le nez dedans pendant un moment avec mon travail sur mon blog Passion Menstrues puis mon premier livre, Le Grand mystère des règles. Entre le moment où j’ai posté le premier article sur mon blog et aujourd’hui, je vois bien qu’on n’est plus exactement dans la même situation. Tout n’est pas résolu, loin de là, mais je vois énormément de différences dans la façon dont le sujet est abordé. Exemple con mais parlant: je vois de plus en plus de protections périodiques mises à disposition gratuitement dans les toilettes des bars et des lieux qui reçoivent du public, alors que ça n’arrivait absolument jamais avant.
Et quels reculs?
Je crois qu’on commence, quand on prend la peine de s’y intéresser en tout cas, à prendre la mesure de l’ampleur du problème. J’ai l’impression qu’on commence enfin à sortir un peu des combats stériles sur “les causes prioritaires” pour s’apercevoir que tout ne se vaut peut-être pas à l’échelle humaine, sociale, à l’échelle de la souffrance individuelle, mais que tout est quand même lié et qu’il faut qu’on attaque le monstre par tous les angles, chacun·e à la hauteur de ses capacités et de ses armes, pour s’en sortir. On ne peut pas être sur tous les fronts, et au lieu d’accepter ça en se disant “ok, on va toustes se concentrer sur la même chose avec la même intensité”, on accepte de se répartir les tâches et de légitimer chacun de ces combats.
Quel est ton / tes film·s féministe(s) de la décennie?
Je regarde essentiellement des films d’horreur donc c’est un peu particulier, mais j’ai beaucoup aimé Watcher de Chloe Okuno, parce que ça dit quelque chose de très fort tout en subtilité, et que ça m’a vachement surprise de voir à quel point je m’y suis retrouvée.
Et ton / tes livres féministe(s) de la décennie?
Vorace, de Chelsea G. Summers, Nightbitch de Rachel Yoder et Animal de Lisa Taddeo. Trois ambiances différentes, mais puissantes.
Quelles personnalités féministes t’ont le plus inspirée?
J’ai toujours beaucoup de mal à citer des gens de tête comme ça, donc je ne citerai que celle qui m’est venue en premier à l’esprit même si en réalité il y en a des dizaines et des dizaines: Michaela Coel. La série I May Destroy You m’a hantée pendant des semaines.
Pour toi, quel est le mot de cette décennie féministe?
J’en peux plus de l’entendre parce qu’il est repris à toutes les sauces et qu’il fait joli sur des tote bags, mais le mot “sororité” me vient en premier. Je suis un animal sauvage, je reste souvent dans mon coin et je ne me mêle pas trop aux autres groupes mais les fois où j’en ai besoin, les fois où un·e autre en a besoin, j’aime voir comment on est capable de faire corps et de se rassembler pour se donner de la force. J’adore la façon qu’on a de se filer des bons plans entre nous, de se tirer par la main pour être sur la même marche, de se mettre en garde contre les mauvaises influences. Je bosse pratiquement qu’avec des femmes et je vois la différence maintenant, notamment quand je me pointe à des événements culturels ou sociaux et que je vois qu’on a plus tendance à se rassembler entre femmes, alors qu’avant il y avait encore cette méfiance de meute de lionnes, où on se jaugeait les unes les autres de loin. D’ailleurs j’en parlais l’autre jour mais je trouve ça à la fois triste et drôle qu’on soit si nombreuses à se lier d’amitié après avoir côtoyé les mêmes cercles pendant un moment et qu’on en arrive très souvent à se dire cette fameuse phrase: “J’étais persuadée que tu me détestais.” On est petit à petit en train de retourner ce piège qui a été mis en place pour qu’on se sabote entre nous et qu’on fasse gagner du temps aux hommes, et ça fait vraiment du bien de voir que ça prend une forme concrète, dans le réel, et pas seulement pour faire des likes sur Instagram.
Quels sont les défis féministes à relever ces 10 prochaines années?
Survivre et prospérer, et permettre aux autres d’en faire de même. Et renverser le gouvernement.
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