Du 14 au 26 novembre 2023, le musée parisien organise pour la première fois en France une rétrospective de grande ampleur de l’oeuvre de Ben Rivers.
En vingt ans de carrière, le cinéaste britannique Ben Rivers a réalisé une quarantaine de films qui lui ont permis de multiplier les récompenses en festival et de bénéficier d’une reconnaissance critique importante. Son œuvre singulière, artisanale et réalisée en dehors des circuits traditionnels fait fi des catégories et frontières établies du cinéma dominant et se situe à la croisée du documentaire ethnographique, du cinéma expérimental ou même de la science-fiction.
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Cette œuvre iconoclaste n’a malheureusement bénéficié que d’une distribution très réduite : seuls ses longs métrages Two Years at Sea et A Spell to Ward off the Darkness, co-réalisé avec Ben Russell, se sont frayés un chemin en salles. Le cycle “Strates fantômes, et autres histoires” programmé du 14 au 26 novembre par Antoine Thirion au Jeu de Paume, à Paris, répare cette injustice et permet de mettre à l’honneur une figure influente du cinéma contemporain.
Une attention au monde
À l’image des marginaux qu’il filme, en rupture des modes de vie traditionnels, Ben Rivers adopte une démarche solitaire, en dehors des modes de production dominants. Tout à la fois réalisateur, caméraman, monteur, il maîtrise l’ensemble du processus de fabrication de ses films. D’abord formé à la sculpture, puis à la photographie, il a ainsi développé un rapport artisanal voire tactile au cinéma, en travaillant majoritairement avec de la pellicule, qu’il traite lui-même dans son atelier-laboratoire. Cet engagement radical, presque physique, dans la production de ses images participe d’une éthique de cinéaste qui porte une attention exacerbée au monde et aux êtres.
Pour s’en convaincre, il suffit de voir l’extrême précision du montage et des procédés techniques de son court-métrage, Ah! Liberty. L’émulsion de la pellicule en noir et blanc vient se confondre avec la luminosité blanchâtre des nuages, de la neige ou de la fumée tandis que le montage vient isoler de menus événements perceptifs. L’intervention artisanale du cinéaste vient ainsi prolonger l’expérience sensorielle produite par un paysage, comme s’il traduisait cinématographiquement l’hyperesthésie éprouvée par les enfants qu’il filme.
En marges
Le cinéma de Rivers permet de saisir certaines sensibilités au monde, des manières singulières d’habiter et d’appréhender un territoire. Comme le souligne le texte de présentation du cycle, “Ben Rivers a su fabriquer un univers reconnaissable par son inépuisable curiosité pour des êtres et des communautés ayant choisi, à des degrés divers, de tenir la société à distance pour inventer des modes de vie autonomes, des mondes hermétiques et des relations singulières au temps”.
Il s’agit là de la dimension ethnographique de son cinéma, qui se demande comment les individus peuvent faire communauté en marge de la société. Cette interrogation liait par exemple les trois parties hétérogènes de A Spell to Ward off the Darkness : la première est consacrée à une communauté néohippie recluse dans les bois, la deuxième suit un homme solitaire retiré dans la nature (une solitude qui rappelle celle du héros de Two Years at Sea) et la troisième se déploie lors d’un concert de métal. La dernière partie propose une synthèse paradoxale des deux premières : à rebours du collectif idéaliste et de la solitude radicale, le concert de métal réunit une communauté provisoire. Alors que la caméra est comme portée par les vibrations vocales du chanteur et navigue entre les visages des membres du groupe et ceux du public, un espace commun paradoxal semble s’inventer, qui respecte l’intervalle entre les êtres tout en les unissant par des affects partagés.
Territoires fantastiques
Si la majorité de ses films repose en premier lieu sur des captations “documentaires” d’un lieu ou d’une communauté, le talent de Ben Rivers consiste à nous mener progressivement vers des territoires fantastiques, comme pour faire perler la doublure onirique du monde. Ce voyage entre les “strates” du réel, auquel nous invite le titre du cycle, est manifeste dans des films comme Ghost Strata, House ou The House Was Quiet, présentés en tant que trilogie informelle consacrée aux maisons hantées.
Mais la dimension fantastique de son œuvre se joue principalement dans sa manière de mêler passé, présent et futur comme dans Krabi 2562, co-réalisé avec Anocha Suwichakornpong, ou dans Look Then Below. Tourné dans les grottes de Wookey Hole en Angleterre, ce court-métrage met en relation un imaginaire archaïque et préhistorique avec un récit futuriste énoncé en voix off. Les prises de vue de la grotte se combinent à des créations visuelles numériques, comme si la rencontre des temporalités se jouait au coeur même de la matière de l’image. Le futur le plus lointain renoue avec le primitivisme de civilisations disparues, traçant ainsi une boucle temporelle vertigineuse.
Toutes les informations concernant la rétrospective, organisée du 14 au 26 novembre, sont à retrouver sur le site du Jeu de Paume.
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