On n’attendait plus rien du rappeur Nas – et surtout pas cet album troublant, personnel et courageux. Critique et écoute.
Fin juin, Accident Murderers, extrait du dixième album de Nas, donnait le ton. Au milieu d’un texte sur ces meurtres perpétrés par des lascars jouant du flingue pour le style avant de buter accidentellement un passant, Rick Ross larguait un couplet complètement hors sujet. Face aux fulgurances de Nas, le héros bling-bling accumulait des visions simplistes de nouveau riche sans lien avec la matière, plaçant en fin de ligne une publicité pataude pour son propre album. Évidence : un fossé sépare la plume méticuleuse d’un Nas des banalités affligeantes des pontes actuels.
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Life Is Good est à l’image de cette distance. Né dans le ghetto il y a quarante piges, Nas est plein de fric, sort d’un divorce qui lui a coûté des millions, n’a pas braqué un type depuis vingt ans et l’assume. Pétris d’émotions vivaces et d’images captivantes, Daughters, Reach out ou A Queens Story ne racontent pas autre chose, narrant la quiétude – relative – des parvenus dont les névroses subsistent : aux embrouilles du quartier succèdent celles du millionnaire divorcé dont la fille chérie flirte avec un lascar en mandat de dépôt, tandis que dansent autour de lui les cadavres d’amis chers. Une textualité épaisse que dessert malheureusement une production souffreteuse.
En dépit d’une intro somptueuse et des efforts de No I.D. ou de Salaam Remi, qui offrent un tapis sur mesure à ces digressions défoncées, la mise en son manque d’idées, de grâce, de coups d’éclat. Si on perçoit des réminiscences (Loco-Motive…) de son chef-d’oeuvre originel Illmatic, si la poétique demeure similaire (descriptions graphiques, accumulations d’images, références concrètes), l’intérêt de ce disque tient surtout à l’âge de son auteur, à son parcours. Un intérêt ravivé par une direction artistique à l’opposé des obsessions actuelles : Life Is Good est un disque long, lent et réfléchi qui cherche autre chose que le hit, un disque de vétéran qui ne fait pas mystère de ses défaites, relisant son parcours à l’aune d’une sagesse de rue à la fois mûre et instable, d’un messianisme personnel déformé par la fumée.
Marqué par son passé comme par ses déboires actuels, Nas semble un roi un peu brisé, pas assez bling-bling pour porter la couronne, mais dont les fulgurances coiffent pourtant au poteau des centaines de MC. Une âme, des rêves et un flow de tueur. Life is good, après tout.
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