Alors que l’excellente série Netflix “Sex Education” s’achève, rencontre avec sa showrunneuse Laurie Nunn. L’occasion de revenir sur les derniers épisodes, et de dresser le bilan de ces quatre palpitantes saisons.
À peine trentenaire quand elle a créé Sex Education, l’Anglaise Laurie Nunn a mené durant quatre saisons une écriture aux élans à la fois teen et sérieux, faisant de sa série l’emblème d’une époque où les visions de nos corps, de la jeunesse et bien sûr du cul, ont commencé à muter.
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Alors que la dernière salve d’épisodes, très réussie, questionne l’émergence du courant woke avec bienveillance, nous avons parlé à celle qui devrait bientôt revenir avec une nouvelle série – pourquoi pas un spin-off (série dérivée) de Sex Ed -, pour dresser le bilan d’une aventure hors norme… Et dire au revoir à Otis, Maeve, Eric et les autres.
Après quatre saisons, Sex Education se termine. Une fin de série est toujours un moment particulier. Comment en êtes-vous arrivée à conclure ?
J’aime beaucoup les fins de séries, même si en général, c’est un moment difficile pour les créateurs et créatrices. À la télé, on ne sait jamais si on va réussir à obtenir une nouvelle saison, on écrit souvent en avançant dans le brouillard. Mais quand une fin est réussie… Je me souviens de la conclusion de Six Feet Under, la meilleure de tous les temps. Concernant Sex Education, je suis entrée en salle d’écriture pour la quatrième saison sans penser que ce serait la dernière. J’ai un processus d’écriture très fluide, les choses changent constamment, on écrit et réécrit jusqu’au tournage. Tout s’est passé de façon organique. Je me suis rendu compte que les histoires étaient en train de se terminer pour les personnages principaux, qui se trouvaient tous et toutes dans des situations qui me plaisaient, pleines d’espoir. C’était le bon moment pour se retirer et cela a été ma décision. Une décision complexe, car Sex Education occupe mon esprit depuis neuf ans, si on inclut le développement de l’idée.
Dans la dernière scène, Maeve écrit une lettre d’adieu à Otis. Cette lettre, c’est aussi vous qui nous l’adressez, pour dire que la vie continue ?
J’ai travaillé longtemps sur cette lettre (rires). Cela a été mon dernier travail sur la série. Maeve parle à Otis, mais je voulais aussi que ses mots résonnent avec celles et ceux qui ont regardé Sex Education, pour en capter l’essence. Pour moi, c’est une série sur l’amitié, les connexions entre les êtres, la manière dont on peut arrêter de se fermer comme une huître face aux autres, même si c’est risqué – car des ruptures peuvent survenir. Le changement est une bonne chose, inévitable et permanente. J’ai essayé de remuer ces thèmes qui me sont chers.
En parlant de changement, cette dernière saison se déroule dans une nouvelle école, le Cavendish College, qui ressemble à un paradis woke. Pourtant, le quotidien n’y est pas toujours simple. Comme si Sex Education se mettait en scène comme un récit progressiste, pour en toucher certaines limites.
Avec ce décor, je propose une réflexion sur ce que nous avions fait durant toute la série. En salle d’écriture, je travaille avec un groupe de scénaristes divers et queer. Collectivement, nous nous situons en tant que progressistes. Mais cela nous semblait important d’entamer une introspection, une critique de nous-mêmes. Cavendish incarne cela. Ce lieu, dans la fiction, raconte à quel point il est exaltant de vouloir devenir meilleurs, de travailler sur notre empathie, en sachant que des erreurs surviennent forcément car il restera toujours des angles morts. Sex Education durant ses trois premières saisons en avait probablement. Il fallait le dire d’une certaine façon.
“Les droits des personnes trans sont mis en question de façon globale, alors qu’il y a quelques années on avait l’impression d’une avancée”
Culturellement, un retour de bâton conservateur a lieu contre le progressisme contemporain. Sex Education devait-elle réagir ?
Je trouve le monde assez effrayant. Cette saison, nous avons renforcé nos lignes narratives trans, et ce n’est pas un hasard. Les droits des personnes trans sont mis en question de façon globale, alors qu’il y a quelques années on avait l’impression d’une avancée. Ces conversations ont eu lieu avec les autres scénaristes, en gardant à l’esprit le souci de creuser des personnages, pour ne pas écrire des prêches politiques.
Malgré son caractère inclusif, Sex Education aura eu comme personnage principal un jeune homme blanc, le génial Otis. Comment avez-vous réfléchi à son statut au fil des années ?
Je me suis beaucoup battu avec cette constatation que ma série mettait en avant un personnage blanc et hétéro. Mais j’aime Otis, il est proche de mon cœur. Mon “moi” ado était sans doute plus proche de lui que de n’importe quel autre personnage de la série. On n’aurait pas pu entrer dans Sex Education autrement que par son regard. Mais une fois qu’on y était, il y a eu de la place pour explorer d’autres points de vue qui sont devenus centraux. Dans cette dernière saison, j’ai introduit le personnage d’une autre thérapeute sexuelle, en concurrence avec Otis. Lui se considère comme le premier à avoir eu l’idée des consultations au lycée, mais “O” est bien là et c’est une jeune femme racisée. Otis doit questionner son statut et son privilège, ce qui me semblait important pour la série.
Comment vous êtes-vous transformée durant les neuf années de travail ?
J’ai énormément changé, personnellement et dans mon écriture. Quand j’ai commencé, je n’avais quasiment rien signé de ma vie en termes de scénario. Sex Education a été mon premier gros job, qui m’a permis de diriger tout de suite une salle d’écriture, ce que je n’avais jamais fait, évidemment ! Je n’avais même jamais mis les pieds dans une salle d’écriture tout court. Cela m’a pas mal stressé (rires). Arrivée au bout, je me sens beaucoup plus en confiance et je sais de quel espace créatif j’ai besoin.
Comment avez-vous construit cet espace créatif ?
Regarder le monde de différentes manières aide à rendre la fiction plus pertinente. J’ai voulu donner une chance à des voix nouvelles. J’ai été en mesure de le faire après la première saison. Auparavant, j’étais considérée comme trop jeune. À mesure que la série a grandi, tout le monde a compris que la représentation de la diversité se trouvait en son cœur. Toute l’ambition de Sex Education a été de rendre hommage aux séries et aux films teen venus avant, mais d’actualiser ces références. Nous sommes allé·es le plus loin possible dans l’étude de stéréotypes : le meilleur ami gay, la bad girl qui vit dans une caravane, etc… Or, la variété des profils de scénaristes était un choix majeur pour y parvenir. Pour cela, il a fallu prendre des risques, choisir des personnes non expérimentées.
“Notre série avait pour sujet l’amitié plus que l’amour romantique”
Le titre de votre série est constitué de deux mots. Lequel, au bout du compte, était le plus important ?
(Rires) Au départ, vous savez, le titre de travail était Student Body (Corps étudiant, NDLR), mais je crois que Sex Education est bien meilleur. Pour répondre à votre question, je dirais probablement l’éducation. Notre série avait pour sujet l’amitié plus que l’amour romantique. Nous espérons avoir été capables d’éduquer sur certains sujets, même si tout partait des personnages. Ce sont d’elles et d’eux que je souhaiterais que l’on se souvienne.
La grève des scénaristes vient de se terminer à Hollywood, après des mois de négociations houleuses. Comment voyez-vous l’avenir des séries et votre avenir personnel dans ce nouveau contexte ?
C’est génial qu’un accord ait pu voir le jour, même si les acteurs et actrices sont encore en grève et nous les soutenons. L’industrie traverse un moment étrange, mais j’espère que nous verrons de plus en plus d’histoires diverses et riches, avec une barrière moins importante à l’entrée de l’industrie. Je crois que l’un des sujets de fond de cette grève se trouvait là : cette idée que les scénaristes doivent pouvoir mieux gagner leur vie à tous les niveaux. Si on ne fait pas cela, on se retrouvera comme toujours avec des personnes privilégiées, qui auront pu se permettre d’attendre avant de gagner vraiment leur vie en tant que scénaristes. J’ai l’espoir que les choses changent. À titre personnel, je vais d’abord prendre de longues vacances, pour essayer de me souvenir à quoi ressemblait mon cerveau quand il ne devait pas jongler avec tous ces personnages (rires). Ensuite, je recommencerai à écrire, probablement une série. J’adore la télé, il n’y a rien de mieux.
Propos recueillis par Olivier Joyard
Sex Education saison 4. Sur Netflix
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