Le rapport accablant de Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation, paru en décembre, a mis un coup de projecteur sur les conditions de détention de « la » prison marseillaise. Depuis, le tribunal administratif a ordonné des travaux de rénovation. Reportage dans le quartier des hommes.
Dans les allées du bâtiment A, l’odeur de peinture fraîche et le bruit des perceuses ont soulagé pas mal d’esprits. À commencer par celui des détenus. « Rentrer dans du propre, mentalement, ça fait beaucoup de bien« , lance Terus*, un pinceau à la main. Comme ce trentenaire, certains détenus participent, depuis plusieurs semaines, à la rénovation des coursives et des cellules du plus vaste bâtiment des Baumettes. D’autres, comme Yaya, 32 ans, profitent de leurs nouvelles conditions d’incarcération. Sol et murs propres, lavabo neuf, toilettes refaites, fenêtre double vitrage, sa cellule vient d’être rénovée.
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« On m’a transféré sans que je ne demande rien à personne, s’étonne le détenu. C’est impeccable. On a envie que ça reste propre. Maintenant dès que je vois une trace de gras sur le mur, je la nettoie directement. »
Il y a encore quelques jours, Yaya purgeait sa peine dans un taudis. « Il y avait des cafards de partout, la fenêtre ne se fermait pas, l’électricité était apparente. C’était vraiment archi pourri« , se souvient-il.
La rénovation du quartier des homme qui compte 848 cellules a commencé à la mi-décembre, peu après la publication du rapport accablant de Jean-Marie Delarue. Le contrôleur général des lieux de privation avait constaté lors de sa visite, en octobre 2012, une « violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté« . Les détails sordides et les photos accompagnant le rapport avaient alors mis la France en émoi et obligé les autorités à agir. C’est ainsi qu’en décembre dernier, suite à plusieurs requêtes de l’Observatoire international des prisons (OIP), le tribunal administratif de Marseille avait ordonné à l’administration pénitentiaire de remettre en état les cellules et plusieurs équipements, sous un délai de trois mois. Selon Nicolas Ferran, responsable juridique à l’OIP, « il y avait déjà eu des demandes d’indemnités de la part d’un ou plusieurs détenus mais c’est la première fois qu’il y a une procédure qui vise un établissement dans son ensemble et qui agit sur les conditions de détention« . Jean-Luc Ruffenach, directeur adjoint des Baumettes, se justifie: « Monsieur Delarue a fait son travail et tiré des conclusions. Ce rapport est un levier qui nous permet aujourd’hui d’agir mais cela ne signifie pas que l’on n’a rien fait auparavant. On savait que l’établissement était dans un grand état de vétusté. Il y avait des travaux de maintenance mais manque de budget, ils n’étaient pas suffisants. »
Poubelle et cafards
À ce jour, l’administration a rénové 71 cellules sur les 314 qui doivent être réhabilitées avant la fin de l’année. La remise en état consiste à repeindre les murs et le plancher, à remplacer les prises électriques et les fenêtres, à refaire la plomberie, à installer une cloison d’intimité au niveau des toilettes et un système d’éclairage. Bolo, 64 ans, a atterri aux Baumettes, il y a seulement quelques jours. L’homme à lunettes attend d’être transféré dans une prison corse. « Ce qu’a dit Delarue dans son rapport, c’est pas de la publicité mensongère« , soupire-t-il, alors qu’il tente de descendre du lit superposé. Bolo et son camarade d’infortune occupent une vieille cellule. Les murs bleus sont sales et tagués, la prise électrique se décroche du mur, l’unique tabouret n’a plus que trois pieds au lieu de quatre et l’éclairage est inexistant.
Quand à l’intimité, elle laisse à désirer. Les détenus ont pendu deux serviettes à un fil pour pouvoir faire leurs besoins à l’abri des regards. « Je savais que je devais en passer par là, je le prends avec philosophie », assure l’un des deux avant de comparer l’état des Baumettes à la maison d’arrêt de Grasse. « Là-bas, c’est propre, il y a de l’électricité, de l’eau chaude. Tous les matins, on nous distribue un sac poubelle alors qu’ici on en a reçu un seul et c’était à notre arrivée. » « C’est normal, elle est plus récente« , s’empresse de répondre la chargée de communication de la Direction interrégionale des services pénitentiaires, jamais très loin au moment des entretiens avec les détenus. Selon eux, l’état des douches ne semble pas non plus s’être amélioré. « Rien n’a changé. Il n’y a pas de séparation entre les douches. La moitié ne fonctionne pas. Et, l’eau chaude est rare« , se plaint un jeune détenu. Les travaux de nettoyage doivent aussi permettre d’éradiquer la présence des rats et des cafards et « améliorer l’hygiène générale de l’établissement« . Le rapport Delarue avait insisté sur la présence de déchets et de nuisibles dans les coursives et les allées qui bordent les cours de promenade. Aujourd’hui, les détenus sont unanimes, les rats et les cafards sont de moins en moins nombreux. Mais à l’extérieur, la vue est toujours aussi anarchique. De nombreux vêtements et sacs plastique pendent aux fils barbelés et l’odeur de poubelle pique encore le nez.
« Un cache-misère »
« Nous allons poser des caillebotis aux fenêtres pour empêcher les détenus de jeter les déchets. Il n’est pas question d’accepter un quelconque laisser-aller dans l’hygiène« , insiste Jean-Luc Ruffenach. Mais la multiplication des ordures seraient aussi due au mauvais état du monte-charge, utilisé pour les collecter. « Il tombe souvent en panne. Ce qu’il faudrait, c’est le remplacer« , explique Alaric Gayen, surveillant et secrétaire local de la CGT. Le rapport Delarue avait également noté un défaut d’organisation dans la distribution des repas par les auxiliaires, des détenus qui aident aux services. Selon le rapport, lorsque les détenus ne sont pas remontés de leur promenade, les barquettes sont déposées devant les cellules, à la grande satisfaction des rats en attente d’un repas. La plupart finisse donc par la fenêtre. Un constat que dément le directeur-adjoint et le secrétaire local de la CGT. « La distribution des repas se fait par charriot. Les barquettes thermo-scellées sont remises aux détenus en main propre par un auxiliaire, insiste Jean-Luc Ruffenach. Monsieur Delarue a dû assister une fois à une mauvaise pratique. »
Si l’ancienneté de l’établissement, construit en 1939, explique en partie son état de délabrement, la surpopulation ne fait qu’empirer la situation. Les Baumettes accueillent actuellement environ 1 700 détenus, soit un taux d’occupation de 140%. Et, les dotations budgétaires ne cessent de diminuer. Les crédit de maintenance ont baissé de 26% en deux ans. La somme inscrite au titre de « l’hygiène et propreté des détenus » est donc passée de 72 323 euros en 2011 à 30 000 euros en 2012 (-58%) et la ligne « fournitures et travaux » est passée de 284 611 euros en 2011 à 180 000 euros en 2012 (-36,7%). Pour ces travaux de rénovation, Jean-Luc Ruffenach affirme ne pas avoir reçu d’enveloppe budgétaire. « Le gouvernement me soutient dans les opérations de rénovation« , se contente-t-il d’indiquer. Jusqu’à présent, l’administration pénitentiaire a dépensé 227 379 euros dans la réhabilitation et le nettoyage de la prison. Alaric Gayen considère qu' »il faudrait tout refaire. On rénove sur de l’existant. C’est un cache misère« .
Un seul surveillant pour cent détenus
« Un cache-misère » qui permet à une poignée de détenus de participer à la rénovation. C’est le cas de Sam, 38 ans. Depuis une semaine, il s’occupe de l’enduit et de la peinture dans le cadre d’un « projet-école », dans lequel travaillent sept autres détenus, tous encadrés par un personnel technique. Ce stage d’un mois et demi, renouvelable une fois, permet à ces hommes d’apprendre quelques techniques de base. « Je fais plus ça pour travailler que pour gagner de l’argent« , explique Sam. Son salaire, fixé à 200 euros par mois, lui permettra d’acheter des cigarettes et du chocolat. « Travailler change surtout mon quotidien. Mentalement, ça me fait du bien. Ca m’évite de rester enfermer dans ma cellule et ça me permet de rencontrer des gens qui viennent de l’extérieur« , confie-t-il alors qu’il trempe son rouleau dans un pot de peinture blanche.
Laurent, surveillant, encadre le nettoyage fait par des détenus. Selon la direction, quarante postes d’auxiliaires viennent d’être créés. « Les hommes sont motivés. Maintenant, je les considère plus comme des ouvriers que comme des détenus. Les lieux restent propres. Je pense que les détenus respectent plus le ménage quand il est fait par d’autres« , estime-t-il. Pour Alaric Gayen, il est regrettable que l’encadrement des auxiliaires se répercute sur l’effectif des surveillants. « Ca nous fait des agents en moins, dit-il. Pour bien travailler, il faudrait que l’on soit 700. On est actuellement environ 450. En coursive, il arrive même qu’il y ait un seul surveillant pour 100 détenus. » Jean-Marie Delarue a d’ailleurs constaté que le taux d’absentéisme était important chez les agents: « entre 1 600 et 1 900 jours par mois (2,6 jours par personne) » Alaric Gayen se justifie: « L’absentéisme est dû à un ras-le-bol et une grande fatigue. Il n’est pas rare que que les jours de repos sautent parce qu’on manque de monde. On espère que le rapport Delarue permettra aussi d’améliorer nos conditions de travail. »
* Tous les prénoms ont été modifiés
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