Le plaisir de retrouver Catherine Deneuve au cinéma ne suffit pas à compenser le caractère tapageur et droitard de “Bernadette” de Léa Domenach.
Depuis plusieurs mois, la progressive révélation des éléments de communication du film Bernadette provoquait un mélange de curiosité, de désir et d’impression de déjà-vu. Le grand retour de Catherine Deneuve au centre d’un film après les trois années d’éloignement des plateaux qui ont suivi son accident de santé en 2019 était évidemment le levier principal de tout ce désir et cette curiosité. À cela s’ajoutait l’effet d’inattendu que provoquait le choix de la comédienne pour interpréter une personnalité publique (Bernadette Chirac !) qui, et c’est rien de le dire, n’avait jamais évoqué en nous, ni de près ou ni de loin, la mythologie propre à l’interprète des Parapluies de Cherbourg et du Dernier métro.
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Ce coup de casting amusant, boosté par des premières images à la direction artistique vintage, pouvait laisser présager une pochade un peu insolente. Et en même temps, ce même choix de cast, cette même direction artistique vintage, alliée à la promesse du récit d’émancipation d’une épouse reléguée à vivre dans l’ombre de son époux puissant, pouvait aussi faire craindre le décalque un peu trop suiviste d’un ancien grand succès de François Ozon : Potiche.
Film de droite
Avec la somme de nos espoirs et de nos craintes, on était encore loin du compte. Car il y a une chose qu’on n’avait pas anticipée, c’est que Bernadette soit à ce point un film de droite. Léa Domenach a beau déclarer en promo qu’elle n’est pas de droite, son film l’est pour deux. Ses enzymes satiriques s’exercent sur la plupart des personnages secondaires (la prime à Villepin, désigné comme l’incompétent le plus infatué du monde) mais épargnent soigneusement Bernadette, petit prodige d’acuité, de bon sens et de vista politique. Pythie inécoutée, elle avait pourtant prédit entre autres la débâcle aux législatives de 1997, la présence de l’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle de 2002 et l’ascension irrésistible de l’ancien traître Sarkozy.
Que ces prémonitions soient réelles ou inventées, la façon dont le film les instrumentalisent pour construire un portrait apologétique de son modèle pose problème. Il donne son assentiment aux pires manœuvres opportunistes (le rapprochement avec Sarkozy) et fait l’éloge aveugle du sens de l’adaptation et la défense de ses propres intérêts. On loue Bernadette parce que ce serait en fait une winneuse, et on enfouit sous le tapis tout ce qui pourrait ternir l’éclat de ces louanges (sur la vision du monde hyper conservatrice de Bernadette Chirac, les polémiques sur ses dépenses et l’enquête dont elle fit l’objet, le film est assez peu disert).
Empowerment factice
Finalement ce n’est pas tellement au Potiche de François Ozon que Bernadette fait le plus penser, mais plutôt à un succès récent du box-office : Barbie. À la façon dont le film de Greta Gerwig réinvente Mattel en marque hyper inclusive depuis tout éternité, Léa Domenach statufie Bernadette Chirac en figure majeure d’empowerment féminin (faut-il le préciser, cet empowerment, fût-il réel, n’a œuvré qu’au profit de sa propre personne et n’a jamais prôné la libération d’une autre femme que Bernadette Chirac).
Barbie, Bernadette : la construction scénaristique est la même (de la crise à la reconquête de la puissance), l’enrobage visuel n’est pas très éloigné (coulis chromatique pimpant et vocabulaire pubard) et la visée politique est la même : racheter au féminisme washing n’importe quelle figure “iconisable” (quelle qu’en fût au préalable la teneur aliénante ou réactionnaire). Le moins que l’on puisse dire en voyant Bernadette, c’est que le cinéma rétrécit beaucoup à ce type de lavage.
Bernadette de Léa Domenach, en salle le 4 octobre.
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