Inventeurs d’une musique expérimentale et changeante, les Américains utopistes d’Animal Collective oublient leur percée pop de 2009 : leur nouvel album explosif les propulse dans l’espace. Critique et rencontre.
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Géo Trouvetou américains hyperactifs depuis déjà une douzaine d’années, les membres d’Animal Collective publiaient, en 2009, Merriweather Post Pavilion. Grands chercheurs formels, partis de l’expérimentation pure et dure, passés par toutes les formes de la musique – folk primitif aux airs incertains, pop zigoto, electro incantatoire ou improvisations absconses –, les garçons mettaient un peu de miel dans cette science dure et sortaient là leur album le plus pop, le plus rond et le plus rassembleur. Comme Radiohead ou Björk avant eux, ils se faisaient passeurs d’idées neuves.
Si le groupe ne mutait évidemment pas en bulldozer platiné prêt à ratatouiller Lady Gaga ou LMFAO en haut des charts internationaux, son Merriweather Post Pavilion fut un joli carton. Ce succès a pourtant semblé n’être, pour ces fortes têtes, qu’un épiphénomène et Animal Collective restait, coûte que coûte, le monstre à plusieurs ciboulots et avec toujours un coup d’avance qu’il avait toujours été, continuant à creuser la veine expérimentale : des albums solo pour ses deux membres Panda Bear ou Avey Tare, un concept-album visuel nommé ODDSAC ou une installation au Guggenheim de New York pour la célébration des 50 ans du musée.
Conséquence de toute cette effervescence et d’une exposition médiatique nouvelle pour lui, le groupe a vendu plus de disques que jamais et a vu son audience en concert s’accroître et passer d’une tribu d’admirateurs aventureux à un plus large public d’amateurs, curieux mais peut-être moins préparés que les fans de la première heure à la découverte chamboulante de ses mouvements perpétuels.
Mais si Animal Collective affirme désormais avoir pris conscience de sa “responsabilité de performeur et d’entertainer” et de la plus grande variété de son public, le groupe demeure indomptable. Son goût pour la progression artistique et le refus du surplace restent des qualités congénitales. “On s’est un peu lassés vers la fin de la tournée qui a suivi Merriweather Post Pavilion, explique Brian Weitz, dit Geologist. Quand tu sais trop bien jouer une chanson, il n’y a plus aucun danger, aucune surprise. On était totalement prêts pour le changement, et même contents qu’il arrive : il était hors de question pour nous de faire un Merriweather 2.” Dave Portner, dit Avey Tare, abonde : pas d’avenir sans rupture, quel qu’en soit le prix. “Il nous faut continuellement apprendre et réapprendre pour ne pas perdre notre excitation. Il n’existe aucune limite à ça. Je me souviens de discussions avec mon ami Eric, de Black Dice, quand nous étions plus jeunes. On imaginait la pression subie par les Beach Boys après Pet Sounds, le chef-d’oeuvre absolu… On se disait aussi que le public ne se rend pas forcément compte que les membres d’un groupe vieillissent, évoluent, et leurs désirs avec. Pas besoin de toujours regarder en arrière.”
Groupe alien un jour, groupe alien toujours. C’est justement vers la science-fiction qu’Animal Collective s’est tourné pour son nouvel album, Centipede Hz ; une forme de science-fiction à l’envers : la musique humaine entendue, interprétée et réinterprétée par des E.T. fantasmatiques. “L’univers de la radio nous a toujours fascinés, explique Geologist. On a voulu utiliser beaucoup de samples, notamment les jingles ou les publicités un peu bizarres qui animent ses temps morts. Mais surtout, le fait que les signaux FM aient suffisamment de puissance pour quitter l’atmosphère et voyager dans l’espace nous a menés vers une sorte d’imaginaire extraterrestre : on pensait à un groupe sur une autre planète, entendant des sons venus de la Terre via ces ondes FM et essayant de les incorporer à sa propre musique… C’est passionnant de se dire que ce que l’on crée est une forme d’énergie infinie, qui peut voyager si loin.”
Dire que Centipede Hz voyage loin est un euphémisme. Ecrit à quatre, Josh Dibb, alias Deakin, étant à nouveau de la fête après une pause prise en 2007, c’est un album total, voire totalitaire. Caresses et baffes, bâton et carotte, punition et récompense : quand ses mélodies ludiques et pop planent bien au-delà de la Voie lactée et titillent directement le sens primitif de la beauté universelle, les entrailles de sa production acide, frénétique et d’une densité sonique ahurissante perdent au contraire les âmes dans une impression parfois terrifiante de dédale infini. “On voulait des morceaux plus complexes en termes d’orchestration, explique Geologist. Mais la seule véritable idée, à l’origine, consistait à laisser les choses ouvertes et à travailler ensemble, en improvisant et en live, méthode quasiment inédite pour nous. C’était de l’expérimentation et une expérience cathartique : on voulait jouer fort et c’est ce qu’on a fait.”
L’alien de repointer le bout de son quelque chose, indéfinissable : “On allait naturellement vers des morceaux plus agressifs, plus excités, poursuit Avey Tare. Quelqu’un a prononcé le mot ‘centipede’ (mille-pattes – ndlr) assez tôt pendant le processus et on a tous trouvé qu’il décrivait assez bien ce qu’on était en train de faire : quelque chose d’alambiqué, avec beaucoup de pattes, d’excroissances, l’idée de multiples sections imbriquées les unes dans les autres.” On pense à l’intro façon uppercut électrique de Moonjock, aux progressions rythmiques et vocales de la furibarde Monkey Riches ou de Wide Eyed, à la très étrange mais collante Today’s Supernatural, aux aqueuses et belles Rosie Oh ou Mercury Man, aux cartoonesques mais ambivalentes Father Time et Applesauce.
Ardu au premier abord, obsédant et fantastique quand on l’écoute au casque, Centipede Hz ressemble à un condensé des années de recherche d’Animal Collective, dans l’expérimentation comme dans la beauté, la pop et l’électronique, l’organique et le synthétique. C’est, une fois de plus, l’univers naissant que rêverait d’explorer tout spationaute intrépide. Centipede Hz : un petit pas pour Animal Collective mais un grand pas pour l’humanité. Carrément !
concerts le 2 novembre à Paris (Pitchfork Festival), le 3 à Strasbourg, le 9 à Tourcoing
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