Aujourd’hui oublié, Sessue Hayakawa fut un immense acteur. Gilles Jacob raconte une vie chaotique, de l’Asie à Paris en passant par Hollywood.
Le principal intérêt du livre consacré par Gilles Jacob à l’acteur japonais Sessue Hayakawa tient à sa nature hybride. Récit ou fantaisie ? Biographie ou confidence ? Soit donc Hayakawa, né en 1889 dans une famille aristocratique et mort en 1973 dans un monastère bouddhiste. Entre-temps, toute une vie.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Et quelle vie ! Gilles Jacob déchire le voile des vagues souvenirs où se confondent la silhouette d’un mafieux élancé dans Macao, l’enfer du jeu de Jean Delannoy (1942) et celle plus bedonnante du colonel Saïto, commandant d’un camp de prisonniers dans Le Pont de la rivière Kwaï de David Lean (1957).
A Hollywood, Sessue Hayakawa fut aussi important que Chaplin
A part ces deux “détails”, on apprend que ce parfait oublié fut à Hollywood, aux temps du muet, aussi important que Chaplin ou Fairbanks. Plus de cent films, depuis son rôle dans Forfaiture de Cecil B. DeMille (1915) qui fit de lui une star.
Hayakawa fut la plupart du temps cantonné dans le rôle de l’Asiate forcément fourbe (d’où le titre, un rien ironique, Un homme cruel). Mais cette mortification fut conjurée par une existence incandescente, où l’argent jeté à pleins seaux de champagne le dispute aux affres de la dèche dans le Paris des années 1940 où, pas du tout accessoirement, Hayakawa rejoint les rangs de la Résistance.
Le documentaire érotique d’un amour fou
Le tempo du récit est rocambolesque mais, pour raconter la fin de vie de l’acteur, Gilles Jacob écrit comme Ozu filmait, sur la pointe des pieds, notamment dans la description feutrée des adieux entre Hayakawa et Yukio, son fils négligé.
Pourquoi Gilles Jacob, manitou mémorable du Festival de Cannes, s’est-il obsédé de ce grand brûlé de l’histoire du cinéma ? Sans doute du fond d’une tendresse pour les cabossés de la vie. Mais aussi, plus sûrement, parce que ce livre est en filigrane le documentaire érotique d’un amour fou qui, malgré bien des chaos sentimentaux, unissait Hayakawa à Tsuru, son épouse. Ce que peut l’amour d’une femme. Un homme cruel est d’évidence un roman.
Un homme cruel de Gilles Jacob (Grasset), 320 pages, 20 €
{"type":"Banniere-Basse"}