Depuis avril 2015, « Noto » donne le ton. Le topo de cette revue culturelle gratuite ? « Construire le réel » à l’aide de la poésie, de l’esthétique chic et de la création littéraire.
Ni mook, ni journal gratuit, Noto est un trimestriel à zéro euro mais au sens multiple. A la fois dans l’air du temps et d’un idéalisme atemporel, trouvable dans le rayon nouveautés des librairies comme dans les expositions rétrospectives, c’est un rendez-vous ouvert à tous où se concentrent contemplations et réflexions. Harmonieuses, parcourues de nuances et d’images, les pages de Noto sont très esthétiques, les illustrations chaudes et les couvertures immersives. Par le prisme de la mise en motifs – s’entrecroisent Art nouveau, peinture surréaliste, représentations bucoliques, nudités – ce sont les pensées qui se conjuguent afin de « mieux connaître le monde, de questionner et d’explorer la vie« , son sens et ses malaises. De l’exigence sexy.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
« Créer autour du présent »
C’est une revue rayonnante qui est née dans l’obscurité.
« Le premier numéro de Noto est paru quelques temps après l’attentat de Charlie-Hebdo. A ce moment-là, on s’est tous dit que la culture allait nous aider. Celle des universitaires, poètes, conservateurs de musées, philosophes, écrivains, il ne fallait pas qu’elle se perde chez eux… elle s’est retrouvée chez nous.”
Ces mots, ce sont ceux d’Alexandre. Son phrasé distingué et chaleureux recouvre sa verve enthousiaste d’un écrin insolite. Si ce trentenaire passionné souffle avec une grande affection le nom d’Yves Bonnefoy, il lui suffit d’un échange complice de regards pour défendre la pop culture eighties, en touchant du bout de l’index le pins Les Goonies qui griffe sa veste. L’écriture qu’il défend est égale à lui-même : libre.
Offrant sa propre variation à la modernité visuelle de mags fédérateurs – type Uzbek et Rica – Alexandre Curnier s’applique à raviver « le pouvoir érotique des livres ». Il faut dire que ce directeur de publication est avant tout un (ex) éditeur de littérature d’art, passé par Flammarion avant de lancer avec seulement 5 000 euros son « noto bene« .
Intégralement financé par les annonceurs premium, Noto est dépourvu de tout prix code-barre pour une raison aussi bien économique que politique. ”Le cas inverse impliquait de reverser 60 % à notre distributeur, c’est-à-dire de faire payer la revue aux alentours de 13 euros” détaille l’amoureux des belles lettres avant d’ajouter que « le pari de la gratuité est celui de la diffusion au plus grand nombre, au-delà des chaires universitaires et du cercle restreint des adeptes d’essais ». Noto conjugue ainsi amour du savoir et forme luxueuse afin « de prendre le lecteur par la main pour l’inviter à explorer une culture soi-disant élitiste ».
La revue des 15-34 ans
Le tract élégant d’une génération – celle des 15-34 ans, « notre lectorat majoritaire, sans qui Noto n’existerait pas » – qui sait que poésie, beaux arts, théâtre, musique classique et architecture ne disent pas simplement notre passé mais racontent également notre présent et notre avenir.
Penseurs aux longs « tunnels », focus prolongé sur l’Antiquité, digression fertile sur l’acte de traduction, d’un volet à l’autre Noto prend le temps d’étirer la parole et la laisse volontiers à Christophe Honoré, Tristan Garcia, Claro ou Dominique Blanc. Au risque d’égarer le lecteur entre quinze feuillets étendus ? Oui et non.
“La culture sous sa forme non promotionnelle est un medium qui fait peur d’une manière générale, que l’on fuit, alors qu’elle intéresse le monde et vise à l’éclairer, qu’elle apporte la transmission d’un savoir… à l’instar de la beauté, qui nous permet de visualiser les choses, afin de les accepter ou de les combattre.”
« Nous offrons trop de place médiatique à la parole politique, il est indispensable que les intellectuels reprennent le parole. A nous de l’investir définitivement, avant la tragédie », lisait-on dans l’édito plein d’espoir et d’inquiétude d’un quatrième opus aux mots tout aussi éloquents aujourd’hui. Ce militantisme lucide épice la revue au gré d’un témoignage (celui du cinéaste Robert Guédiguian), d’une assertion (“soyez l’amis des poètes, ils nous offrent le courage d’écrire notre époque”) ou d’un dessin marqué d’un slogan presque révolutionnaire : “Traversons les nuages !”
Au fil de l’eau, on s’attarde sur les vers de Théophile Gautier ou la prose de Jean Streff (défricheur du désir) mais également sur les alexandrins… des lecteurs, ces poètes en herbe qui ont ici droit à leur première fois sur papier. La démarche est citoyenne : « Réapprendre à raconter des histoires et valoriser toutes les plumes », insiste ce curieux trentenaire.
Le luxe de cet objet n’est pas simplement sa plastique mais cette conviction rare « selon laquelle la culture permet de capter l’actualité par détours poétiques ». La preuve ? Le dernier numéro en date décortique un concept : les frontières. Ou comment scruter la crise des réfugiés tout en effritant d’autres murs – ceux qui séparent les champs d’expression les uns des autres. En un lointain écho à Lautréamont (« La poésie doit être faite par tous, non par un ») le créateur de Noto semble se faire le porte-parole de ses mille (jeunes) abonnés : “Prenons le pouvoir ! Donnons le savoir ! Nous sommes jeunes, nous sommes à la porte, nous avons envie de faire des choses : laissez-nous rentrer ! » clame-t-il avec la ferveur insolente d’un manifeste avant-gardiste. A bon entendeur…
{"type":"Banniere-Basse"}