Le vrai grand album de Cat Power ne vient pas d’elle en ce début d’année mais de Sarabeth Tucek, une inconnue américaine.
« Something for you”, susurre Sarabeth Tucek en intro de ce premier album, sur une chanson qui, depuis des mois déjà, fait la joie mélancolique des internautes. Et effectivement, cet album impose d’entrée son intimité, son côté bouche à oreille, sa familiarité. Il est de ces disques qui imposent leur séduction sans éclat, sans effets de manche, insidieusement, diaboliquement : se souvenir ici comment quelques albums fondamentaux – Mazzy Star, Joanna Newsom, Cat Power, Vashti Bunyan, Alela Diane… – ont suivi le même chemin pour se trouver une place au chaud dans quelques panthéons. Sans frime, patiemment, langoureusement, jusqu’à devenir des compagnons inséparables, indispensables : des disques qui s’imposent sur le temps, en privilégiant les amours qui finissent bien, en général, aux feux de paille.
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Ces dernières années, l’Amérique a pourtant été généreuse en chanteuses folk, des plus excentriques et illuminées aux plus austères et rigoristes. Et c’est précisément entre ces deux voies – séparées par d’épaisses murailles – que la Néo-Californienne (née en Floride et élevée à New York) a installé son écriture, capable de parler intensément aux fans de Dylan (que l’on dit très fan) comme à ceux d’un songwriting nettement plus dissipé (elle a notamment chanté avec Smog et Brian Jonestown Massacre).
Car quand on écrit avec autant d’insolence, autant de grâce que sur Ambulance ou Come Back Balloon, les notions de classicisme et de modernisme paraissent soudain bien dérisoires : à la fois fermement traditionnelles et radieusement émancipées, ces chansons de peu d’effets évoquent ainsi la mélancolie aussi douce que fatale de Karen Carpenter, l’humble musicalité de Joni Mitchell, la solennité de Nico, la suavité de Laura Nyro, la majesté de Cat Power ou le psychédélisme fiévreux de Hope Sandoval et Elysian Fields.
Portées par une voix sidérante de puissance même dans ses murmures, elles renvoient à leur banalité les mélodies aussi bankable que lugubrement normales de toutes ces chanteuses-songwriteuses à âme neutre, de KT Tunstall à Katie Melua. Something for You : un cadeau aussi divin qu’empoisonné, tant Sarabeth Tucek vient y jouer du violon, du banjo et de la guitare en laine avec vos cordes sensibles.
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