Le Danemark est le premier pays à avoir légalisé la pornographie en 1969. Cette décision a aussi coïncidé avec une performance d’artiste qui fit grand bruit. Au Bicolore, la plateforme d’art contemporain de la Maison du Danemark à Paris, l’exposition “X · A CAPITAL DESIRE” mêle archives et jeunes artistes de la scène danoise sur l’intrication du X, des corps et du capital.
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L’art a toujours accueilli les sous-entendus charnels, les doubles sens licencieux, les ambivalences audacieuses. Tout cela, cependant, a longtemps opéré sous le manteau. Les artistes usaient de leur connaissance de l’iconographie et du registre symbolique pour faire passer ce qui, autrement, aurait été fauché net par le couperet de la censure. Vint l’ère moderne, celle que l’on dit souvent de l’accès, sans que le registre change sensiblement : l’art reste friand de représentations érotiques. Quand bien même les revues ont progressivement été remplacées par les supports techniques de diffusion, plus faciles d’accès, du VHS jusqu’à l’arrivée de l’internet. Et la pornographie dans tout ça ?
L’art reste frileux à explorer ce registre d’images. Évidemment, l’explication la plus simple est pragmatique : l’accueil du public dans les institutions. Reste que cela ne concerne que la monstration, et non la production. Alors, on pense plutôt à ce “degré zéro” de l’image dont parlait Baudrillard : parce qu’il n’y a pas de place pour l’interprétation, précisément ce dont s’occupe l’art.
Le “X” s’expose
Ces deux pistes, cependant, ne constituent pas une explication satisfaisante et contribuent encore moins à faire une exposition. Or, au Bicolore, la plateforme d’art contemporain de la Maison du Danemark, c’est précisément de cela qu’il s’agit : une exposition dont le titre affiche le “X”, claironne d’emblée sa matière.
C’est que X · A CAPITAL DESIRE a précisément opté pour l’exploration d’une troisième piste : les imbrications plus insidieuses, plus perverses également, de la pornographie et du capital, du sexe et de ce néolibéralisme qui, on l’entend de toutes parts, est fluide c’est-à-dire pénètre les corps, les comportements, les passions et les pulsions. La proposition a été confiée à la jeune commissaire d’exposition Anya Harrison, qui officie également au MO.CO. Montpellier depuis 2019. Elle s’inscrit dans un cycle de trois ans qui entérine un cycle d’échange entre le Danemark et la France en invitant des commissaires basé·es en France à collaborer avec des artistes danois·es, à la suite d’un appel à projet et à des voyages d’étude.
La Bourse et l’Artiste, un conte scandaleux
Alors, avec vue imprenable sur les Champs-Élysées, symbole évident du pouvoir étatique donc forcément patriarcal, l’exposition commence en nous propulsant dans un espace similaire. Mais cette fois nous sommes en 1969, à Copenhague. Et plus précisément dans l’enceinte de la Bourse, où l’artiste danoise Lene Adler Petersen y fait irruption, nue, un crucifix à la main.
La performance, qu’elle cosigne avec un autre trublion de la scène artistique, Bjørn Nørdgaard, s’intitule The Female Christ at the Stock Exchange. À un jour près, elle coïncide avec la légalisation de la pornographie, réagissant aux débats en cours, les ancrant dans un vocabulaire visuel à l’impact immédiat. Une performance certes, mais dont les images feront le tour des médias, attirant l’attention sur un autre registre que le législatif : la question, épineuse, de la marchandisation du corps.
À partir de ce point de départ historique, l’exposition déroule son propos et met en espace sa matière. On retrouve, dans le panorama, certains autres jalons d’une histoire récente sur laquelle notre présent frileux, moralisateur tend pourtant à vouloir revenir. Cela concerne par exemple les tableaux de l’Américaine Betty Tompkins, des grisailles extraites de photographies pornographiques (les Fuck Paintings), saisies par la douane française en 1973.
Sexualiser l’environnement urbain
L’essentiel de la proposition se penche sur la manière dont la génération contemporaine d’artistes tisse ensemble ces éléments : hardcore et techno-corps, néolibéralisme et identités fluides. L’exposition présente onze artistes au total, dont sept œuvrent depuis notre présent, celui qui à nouveau légifère sur les corps et censure les mœurs.
Pour la commissaire, cette génération a en commun de ne plus tout miser uniquement sur la corporéité : elle “n’a également pas peur de s’effacer pour mieux dévoiler les codes qui gouvernent la visibilité des corps désirants”. Cela se traduit par de multiples propositions où, précisément, ce sont les structures de pouvoir qui d’emblée se mêlent à la libido et aux transactions.
On en voudra pour preuve, notamment, les barricades en forme de tête de lit de Tora Schultz. Il y a également les “ouvertures & orifices” (Aperture & Orifice) de Simon Dybbroe Møller, qui enveloppe d’une pellicule plastique rose ou rouge l’intérieur de structures cubiques de béton, semblables ici aussi à du mobilier urbain ou d’usage. Ou encore les sièges de massage robotiques de Nina Beier, renversés de sorte à accueillir un embrouillamini de piécettes de monnaie et divers rebuts industriels.
X · A CAPITAL DESIRE, du 16 septembre au 12 novembre au Bicolore – Maison du Danemark à Paris.
Pour aller plus loin :
Art talk “The Female Christ : Avant et après | Le Bicolore”, le samedi 23 septembre à 16 h au Bicolore avec Anya Harrison, commissaire de l’exposition “X. A CAPITAL DESIRE”, et Mai Dengsøe, commissaire et directrice artistique du centre d’art Gl. Holtegaard. Entrée libre et gratuite.
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