Coiffant jeunes acteur·rices et personnages de fiction, fans de foot et créateurs underground, la coupe nuque longue continue de faire des émules en 2023.
“Office in the front, party in the back”, résume un dicton populaire au sujet du mulet, coiffure narrant l’entre-deux comme l’invention de soi. Sculptant les cheveux blond caramel de Sentinelle, interprété par Jonathan Cohen dans le film du même nom, le mulet symbolise la double vie du personnage, coincé dans un costume de flic et enfilant dès que possible celui, immaculé, d’un chanteur populaire ayant goûté à une gloire saisonnière.
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Mais le mulet ne coiffe pas seulement les personnages de losers attachants. Les jeunes premiers du cinéma hollywoodien l’arborent sur les tapis rouges : discrètement pour l’acteur d’Euphoria Jacob Elordi, qui présentait en septembre à la Mostra de Venise Priscilla de Sofia Coppola, dans lequel il incarne Elvis. Façon nuque bouclée chez Paul Mescal, aux Oscars en mars dernier. Jeune premier rimerait donc avec mulet discret ?
Loin de faire profil bas sur les réseaux sociaux, le style controversé fait l’objet d’une fine expertise : la “wolf cut”, longue, se distingue du “shag” tout en mèches effilées, tandis que le hashtag “mulet” récolte 13 milliards de vues sur TikTok. Pour les plus timides, un filtre permet une projection capillaire à partager le temps d’une vidéo. De la masculinité patriarcale au symbole genderfluid : depuis plus de quatre décennies, le mulet est simultanément glorifié et tourné en ridicule, aussi ringard qu’avant-gardiste.
Coupe virile ou crypto-queer
Il est le parangon d’une virilité populaire (le footballeur Chris Waddle et son pied gauche ou le tennisman André Agassi et son coup droit) tout en devenant un symbole androgyne de dépassement du binarisme humain/non-humain (Bowie par exemple en Ziggy Stardust). White savior premier degré, sous le Stetson noir de Walker, Texas Ranger et second degré sur le rockeur burlesque Rod Stewart, le mulet oscille entre les virilités et dessine des ailleurs dans les récits de science-fiction portés par des héroïnes échappant au contrôle patriarcal : Ripley dans Alien ou Storm dans X-Men.
En 2021, il est porté par Agathe Rousselle dans la Palme d’or Titane, symbole à la fois crypto-queer et fable d’une femme-machine rappelant la métaphore du cyborg utilisée par la philosophe Donna Haraway pour illustrer les préceptes de la théorie queer en 1984 dans Cyborg Manifesto. Quelques mois plus tard, en 1985, le premier épisode de la série MacGyver est diffusé : soit les aventures invraisemblables d’un roi de la débrouille sur-performant la parabole virile, le tout coiffé d’un mulet. Étrange coïncidence ?
Bien vivre son mulet
On aurait pu évoquer le mulet postmoderne du designer d’avant-garde Helmut Lang, contrebalançant le minimalisme radical de ses collections à la fin des années 1990, ou les mulets coiffant les mannequins du show The Dancing Kid d’Hedi Slimane pour Celine en 2020, évoquant la fluidité des sémiotiques subculturelles à l’ère de TikTok.
Mais il ne faudrait pas oublier qu’au-delà des représentations culturelles et des ouvrages philosophiques offrant de multiples lignes de fuite, le mulet se vit. En septembre, 250 mulets se sont exposés sur un podium à Chéniers, dans la Creuse, où se tenait le troisième championnat d’Europe dédié à la fameuse coupe. Le temps d’un week-end, le mulet a rassemblé et permis aux participant·es d’être regardé·es, reconnu·es, applaudi·es. Soit le droit universel d’interpréter, tel Sentinelle, celui que l’on s’imagine être aux yeux du public, que ce soit sur TikTok ou à Chéniers.
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