As de la mise en scène, le dessinateur français consigne son mal-être passé et ses frustrations dans une nouvelle série qui fait suite à son vaste “Journal”.
“La bande dessinée est l’art de la mémoire.” Cette affirmation de l’Américain Chris Ware (Jimmy Corrigan, Building Stories), nul doute que Fabrice Neaud la partage, tant, dans une grande partie de son œuvre – justement la plus mémorable –, il capture le temps qui passe, et réussit à laisser sur ses planches les traces de l’homme qu’il a été.
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Depuis plus d’une trentaine d’années, le Français est un diariste opiniâtre qui reporte une période de sa vie très précise, au sein d’un Journal autobiographique à la pagination proustienne. Couvrant seulement quatre ans – de février 1992 à juillet 1996 –, les premiers tomes, réédités l’année dernière, forment un ensemble de plus de huit cents pages.
Totalement inédit, ce premier volet du Dernier Sergent nous projette avec précision dans les derniers mois du précédent millénaire. Fabrice Neaud y raconte un quotidien qui, mis à part un début de reconnaissance, n’a pas beaucoup changé. C’est celui d’un artiste fauché, lesté par ses frustrations sociales et sentimentales, vivant son homosexualité dans l’environnement hétéronormé d’une petite ville de province.
Les monuments, la nature, les postures
Si Le Dernier Sergent touche et émeut malgré le décalage temporel, c’est parce que Neaud, réagençant ses souvenirs avec une sensibilité graphique stupéfiante, y fait la démonstration d’une technique de la mise en scène toujours lumineuse. Adoptant la configuration de neuf cases par planche, il sait aussi casser ce rythme régulier pour mieux nous frapper par le biais d’images soudain plus grandes, comme le portrait de sa sœur disparue. Le dessin lui permet aussi de ressasser, par des planches jumelles, l’incident survenu lors de l’enterrement de cette dernière : alors qu’il s’apprête à se recueillir auprès du cercueil, leur mère ne respecte pas la cadence de la ronde mortuaire et le bouscule.
Héritier des arts académiques, sculpteur sur papier, Neaud, possède une capacité sidérante à saisir les monuments, la nature, les postures et les anatomies – les corps sont souvent fétichisés quand il s’agit d’amants fantasmés ou croisés lors de rendez-vous furtifs.
Le Dernier Sergent t.1 de Fabrice Neaud (Delcourt), 424 p., 34,95 €. En librairie le 27 septembre.
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