Avec ses confessions amoureuses, le musicien américain signe un de ses plus beaux albums.
Le cœur est remué dès la superbe ouverture de Goodbye Evergreen où, transpercé par la voix de Sufjan Stevens, le folk acoustique désigne le mental comme l’ennemi des désirs : “Think of me as what you will/I grow like a cancer/I’m pressed out in the rain/Deliver me from the poisoned pain.” Rapidement, il ouvre grand les portes de la perception orchestrale, des percussions aux machines en passant par les instruments à vent et les chœurs de ses amies chanteuses : Adrienne Maree Brown, Mina Tindle, Hannah Cohen, Megan Lui et Nedelle Torrisi.
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Après l’inoubliable Carrie & Lowell (2015), qui racontait sa mère disparue, ce nouveau chef-d’œuvre explore les multiples possibilités du discours amoureux made in Stevens mais aussi de son songwriting. Il enregistre, arrange, produit et mixe seul, sortant de son huis clos existentiel pour une reprise, There’s a World de Neil Young – bijou baroque du cultissime Harvest ici dépouillé jusqu’à la moelle.
Des entrelacs de cordes, des envolées sensibles
Sont rendus accessibles les recoins obscurs de ses souvenirs ou de ses fantasmes, tel ce javelot (le “javelin” qui donne son titre à l’album) avec lequel Sufjan songe transpercer l’être aimé… sans jamais le vouloir vraiment. Il aurait pu y avoir du sang, avoue-t-il. Pourtant, c’est l’eau des rivières et des larmes qu’offre Stevens, dont la voix s’élève jusqu’à des cieux tremblants d’orages contenus, le point d’orgue étant les huit minutes de Shit Talk, superbe renoncement au combat conjugal.
Rien d’autre que l’amour, qu’il soit poison ou bénédiction, peut nous sauver. Et tout est mystique, dans un déploiement choral parfaitement dirigé par Stevens, soit l’un des plus grands musiciens américains de sa génération.
Une conjuration du pathos avec une épure lexicale, à la fois sentimentale et piquante
Terreau acoustique, entrelacs de cordes, voix mixée en avant, habillée d’envolées sensibles : un inépuisable et addictif dispositif… A Running Start célèbre la romance (re)naissante, mêlant dans une veine romantique éléments naturels et gestuelle sensuelle : “Can you, my lover, kiss my bracelet/And my shoulder blades.” On succombe aux prières profanes de Genuflecting Ghost et My Red Little Fox (“Kiss me like the wind that flows within your veins”, implore Stevens), où les chœurs prennent le relais quand l’émotion s’empare trop de nos tripes pour qu’un mot de plus soit prononcé.
Conjurant le pathos avec une épure lexicale, à la fois sentimentale et piquante, Sufjan Stevens s’interroge : “Will anybody ever love me?/For good reasons/Without grievance, not for sport.” On lui répondra alors qu’on l’aime, et quelle meilleure raison donner que sa musique, miroir sans tain grâce auquel nous pouvons cependant accéder à notre propre reflet ?
Javelin (Asthmatic Kitty Records/Modulor). Sortie le 6 octobre.
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