Sélectionné pour le prix Goncourt 2023, l’auteur québécois Kevin Lambert a déclaré avoir travaillé avec une sensitivity reader pour son roman “Que notre joie demeure”. Ce à quoi Nicolas Mathieu, lauréat du Goncourt 2018, a répondu, lançant ainsi le débat sur cette pratique.
Le débat est ouvert. Il y a trois jours de cela, l’écrivain québécois Kevin Lambert intégrait la première sélection du prix Goncourt 2023 pour son œuvre Que notre joie demeure. Sur Instagram, sa maison d’édition Le Nouvel Attila relayait des propos de l’auteur expliquant sa collaboration avec une sensitivity reader dans l’écriture de son roman. Nicolas Mathieu, lauréat du Goncourt 2018 pour Leurs enfants après eux, n’a pas manqué d’y réagir.
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Pour rappel, le travail du sensitivity reader consiste à “débusquer dans les manuscrits des phrases ou des situations qui pourraient blesser des minorités ethniques ou sexuelles et provoquer des polémiques” comme l’explique Radio France dans un article sur le sujet. Kevin Lambert raconte que Chloé Savoie-Bernard, une poète et professeure de littérature d’origine québécoise et haïtienne, a participé à l’édition de son livre, et notamment sur l’un de ses personnages d’origine haïtienne.
L’écrivain a ainsi expliqué sa démarche : “Même si je fais aussi des recherches sur les stéréotypes liés aux personnages minorisés dans la fiction, je n’ai pas le compas dans l’œil et je peux toujours me tromper. Chloé s’est assurée que je ne dise pas trop de bêtises, que je ne tombe pas dans certains pièges de la représentation des personnes noires par des auteur·es blanc·hes. Elle m’a aussi aidé à étayer ce personnage, à l’approfondir, à le complexifier. La lecture sensible, contrairement à ce qu’en disent les réactionnaires, n’est pas une censure. Elle amplifie la liberté d’écriture et la richesse du texte. Cela ne fait aucun doute pour moi et je compte travailler de cette manière pour tous mes prochains romans.”
Nicolas Mathieu répond
À ce message, Nicolas Mathieu réagit dans un post Instagram : “Où l’on apprend que n’être pas favorable aux sensitivity readers, c’est être réactionnaire.” L’écrivain consent que “le pouvoir de tout dire (ou presque) suppose de ne pas le faire n’importe comment”, mais exprime que “faire de professionnels des sensibilités, d’experts des stéréotypes, de spécialistes de ce qui s’accepte et s’ose à un moment donné la boussole de notre travail, voilà qui nous laisse pour le moins circonspect”. “Qu’on discrédite d’un mot ceux qui pensent que la littérature n’a rien à faire avec ces douanes d’un nouveau genre, et sous-entendre qu’ils font le jeu des oppressions en cours, c’est tout bonnement une saloperie”, précise-t-il en ce sens.
Lorsque Le Figaro titre son article sur le sujet “Nicolas Mathieu reproche à Kevin Lambert d’avoir travaillé avec des sensitivity readers”, l’auteur de Leurs enfants après eux dément ce postulat dans un nouveau post. “Je ne reproche absolument pas à cet auteur (avec qui j’ai échangé depuis) de recourir à des sensitivity readers. C’est sa liberté ; grand bien lui fasse. Je réagissais à la réclame absurde que faisait son éditeur à ce sujet et à l’orgueil surprenant qu’il semblait en tirer, comme s’il s’agissait tout à la fois d’un gage de qualité littéraire, de modernité (rire) et de vertu. Je réagissais au fait que Kevin Lambert, dans une itw, range tous ceux qui considèrent qu’il y a là une possibilité de censure parmi les réacs, ce qui consiste à dire : soit vous faites comme moi, soit vous êtes une partie du problème”, rectifie-t-il ainsi. Il conclut : “Il a toute ma sympathie. Mais on peut à bon droit contester ces sortes de discours politiques et publicitaires, en espérant qu’il demeure un peu de place pour la nuance.”
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