Le dernier film de Woody Allen nous laisse indifférents, au contraire du touchant conte engagé du réalisateur et scénariste japonais Ryusuke Hamaguchi.
“Je pense qu’il faut distinguer les responsabilités propres à l’individu de celles de l’artiste.” avait avancé Alberto Barbera, directeur artistique de la Mostra de Venise, pour justifier les sélections des films de Woody Allen, Luc Besson et Roman Polanski. Bien qu’en désaccord total avec une telle distinction, nous attendions de voir Coup de chance du cinéaste new-yorkais, pour nous faire une idée de la soi-disant pertinence artistique du choix de Barbera, bien mise à mal après la réception catastrophique du Palace de Roman Polanski et celle, très mitigée, de Dogman de Luc Besson.
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Tourné dans les beaux quartiers de Paris avec un casting 100 % hexagonal, le film relate la relation adultère qu’une jeune femme (Lou de Laâge) entretient avec un ancien camarade de lycée (Niels Schneider) au nez et à la barbe de son mari (Melvil Poupaud) et contre l’assentiment de sa propre mère (Valérie Lemercier), qui s’entend comme larron en foire avec son gendre. Souffrant d’une photographie de vitrines publicitaires et de dialogues d’une platitude affligeante – on y entend notamment des réflexions philosophiques aussi profondes que “il n’y a rien de plus beau que la poésie”, “il y a moins de choses à faire à la campagne qu’à la ville” ou encore “les sentiments, c’est compliqué” – Coup de chance déploie une poussive intrigue dans laquelle l’amant incarne une vie offerte aux charmes du hasard et le mari une existence forçant son destin.
Manipulateur, jaloux et malhonnête, le rôle de mari de Melvil Poupaud fait fortement penser à celui qu’il tenait déjà dans L’amour et les forêts de Valérie Donzelli. Mais contrairement au film de la cinéaste française, qui touchait par moments à la violence du personnage masculin, Woody Allen fait de cette relation toxique d’emprise une farce amusante et légère, une pochade bâclée.
Une méditation impliquée
Cinéaste qui avait, lui aussi, construit une fiction autour de la notion de destin – dans Contes du hasard et autres fantaisies (2021), Ryusuke Hamaguchi connaît pour sa part sa première sélection à la Mostra, après avoir déjà été récompensé à Berlin et à Cannes. Le nouveau long métrage d’un des auteurs en activité les plus passionnants au monde nous a surpris et d’abord déroutés. Evil Does Not Exist s’éloigne des ambitieux récits tantôt hitchcockien, tantôt rohmérien des précédents films pour proposer une fable écologiste plus simple dans sa conception.
Le début du film dépeint avec pastoralisme la vie d’une petite communauté rurale des montagnes japonaises. Ce quotidien est menacé par l’implantation d’un luxueux glamping (contraction de glamour et de camping, dernier concept à la mode à Tokyo), qui promet de bouleverser le fragile écosystème animalier et aquatique du lieu. On pense par moments à Kelly Reichardt dans l’art minimaliste et cependant infiniment subtile avec lequel Hamaguchi déploie ce puissant conte anti-capitaliste, cette façon de regarder les beautés de la nature et de faire avancer le récit par une lente combustion.
La musique qui accompagne le film est absolument sublime. Faite de violons tour à tour stridents et harmonieux, elle est composée par la musicienne Eiko Ishibashi, qui avait déjà travaillé sur Drive My Car. C’est d’ailleurs la musique qui est à l’origine du film. Eiko Ishibashi a d’abord demandé à Hamaguchi de réaliser des images qui pourraient être projetées pendant son live, d’où l’esthétique contemplative et le sentiment méditatif dans lequel nous plonge Evil Does Not Exist. Mais cette douceur, cette quasi-osmose poétique que dépeint le film, est brutalement cassée par une fin ultra-violente et inattendue. On n’en révélera pas la nature, mais elle déplace les enjeux du film et exacerbe sa portée politique. Elle donne surtout à relire son titre énigmatique, Le diable n’existe pas, à l’aune des ravages commis par l’être humain sur son environnement.
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