Cette rentrée s’avère passionnante, avec des spectacles revendiquant une hybridité entre les disciplines. L’imaginaire des plateaux s’en trouve augmenté, et appelle un salutaire décloisonnement des publics. Les scènes multiplient les approches singulières et nous confrontent à la complexité d’une époque où les questions sont plus nombreuses que les réponses. Création hexagonale et internationale, voici notre sélection.
Théâtre
Yasmina Reza
Offrant un supplément d’existence à Jacob Hunter, le héros d’un chapitre de son livre Heureux les heureux, Yasmina Reza installe son personnage dans une maison de repos. Sous l’œil d’une psy, voici donc celui qui se rêve en Céline Dion faisant ami-ami avec un certain Philippe, qui lui se prend pour un chanteur noir et s’imagine en “parrain de la soul”. P. S.
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James Brown mettait des bigoudis, texte et mise en scène Yasmina Reza, à La Colline-théâtre national, Paris, du 19 septembre au 15 octobre.
Sylvain Creuzevault
Avec deux spectacles créés en miroir, le metteur en scène réveille, pour le meilleur ou pour le pire, les fantômes de l’histoire du XXe siècle. Dans Edelweiss (France Fascisme), il s’agit de dénoncer la pensée obscène des figures de la Collaboration (de Laval à Céline en passant par Drieu la Rochelle et Brasillach). Réflexions sur l’art de la rébellion et le refus des embrigadements, L’Esthétique de la résistance est une adaptation du roman de Peter Weiss. Le spectacle-fleuve, d’une durée de cinq heures, nous entraîne d’Allemagne en Espagne entre 1937 et 1945. Incarnée par les élèves du Groupe 47 de l’École du TNS, la pièce témoigne des combats d’un jeune ouvrier antifasciste et de ses camarades en lutte contre l’Europe de la barbarie et de l’obscurantisme. P. S.
Edelweiss (France Fascisme), texte et mise en scène Sylvain Creuzevault, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier, Paris (dans le cadre du Festival d’Automne à Paris), du 21 septembre au 22 octobre.
L’Esthétique de la résistance d’après Peter Weiss, mise en scène Sylvain Creuzevault, à la MC93, Bobigny (dans le cadre du Festival d’Automne à Paris), du 9 au 12 novembre.
Gisèle Vienne
Avec Extra Life, la metteuse en scène et chorégraphe nous invite à une fête actant des retrouvailles entre un frère et une sœur. Il et elle se sont perdu·es de vue depuis vingt ans et leur rencontre réveille les blessures du drame à l’origine de la rupture de leur lien fusionnel. Réunissant Adèle Haenel, Katia Petrowick et Theo Livesey, la création témoigne d’un champ de la perception où passé, présent et futur fusionnent en un seul espace-temps. Extra Life prolonge une réflexion sur la mémoire et les souvenirs de l’enfance initiée avec L’Étang. On se réjouit de la reprise de cette pièce où l’on retrouve Adèle Haenel, accompagnée cette fois-ci sur le plateau par Julie Shanahan, danseuse pendant trois décennies auprès de Pina Bausch au Tanztheater Wuppertal, dans une performance bouleversante. P. S.
L’Étang d’après Robert Walser, mise en scène Gisèle Vienne, à Chaillot-Théâtre national de la danse, Paris (dans le cadre du Festival d’Automne à Paris), du 22 au 29 septembre.
Extra Life, conception, chorégraphie, mise en scène et scénographie Gisèle Vienne, création en collaboration avec/interprétation Adèle Haenel, Theo Livesey et Katia Petrowick à la MC93, Bobigny (dans le cadre du Festival d’Automne à Paris), du 6 au 17 décembre.
Tommy Milliot
Une ferme isolée où une mère et ses deux filles viennent de mettre fin à leur calvaire en tuant leur mari et père… Mais, comment se débarrasser du corps ? La comédie noire de l’Australien Angus Cerini s’amuse d’une langue dédiée à la “poésie rurale”. Cette fable haletante est à découvrir en immersion, sous l’égide de Tommy Milliot, dans un dispositif tri-frontal. P. S.
L’Arbre à sang texte Angus Cerini, mise en scène Tommy Milliot, aux Plateaux Sauvages, Paris, du 25 septembre au 5 octobre.
Amir Reza Koohestani
Candidat à l’émigration, un couple iranien s’entraîne à la course de fond. L’idée étant de permettre à une amie aveugle de parcourir, de nuit et quand ils sont hors service, les vingt-sept kilomètres de tunnel ferroviaire séparant la France de l’Angleterre. Digne de la préparation d’un casse, cette mélodie en sous-sol s’empare de la forme du thriller pour explorer une autre manière d’investiguer la notion de no man’s land et la question des frontières. P. S.
Blind Runner, texte et mise en scène Amir Reza Koohestani, à La Criée-Théâtre national de Marseille, les 27 et 28 septembre ; au Théâtre de la Bastille, Paris (dans le cadre du Festival d’Automne à Paris), du 5 au 20 octobre.
Ivo van Hove
En réunissant deux scénarios d’Ingmar Bergman, le metteur en scène flamand pose la question d’une dépossession de soi liée à l’art… Interprétant un metteur en scène dans Après la répétition, Charles Berling brise la frontière entre les vivant·es et les mort·es. S’excluant du monde des vivant·es, se murant dans le silence, l’actrice au centre de l’intrigue de Persona, dans l’extraordinaire incarnation d’Emmanuelle Bercot, nous bouleverse. Un diptyque incontournable. P. S.
Après la répétition/Persona d’après Ingmar Bergman, mise en scène Ivo van Hove, à Châteauvallon-Liberté, scène nationale, Toulon, du 28 septembre au 1er octobre ; au Théâtre de la Ville, Paris, du 6 au 24 novembre.
Arthur Nauzyciel
Choisissant de mettre en scène Les Paravents de Jean Genet, écrite en 1961, Arthur Nauzyciel s’empare d’une œuvre qu’il considère comme fondatrice du théâtre français contemporain. La pièce évoque les guerres coloniales dans un pays qui n’est pas nommé. Mais près de soixante ans après le scandale de sa création à l’Odéon par Roger Blin, en 1966, personne n’a oublié les nostalgiques de l’Algérie française qui étaient alors prêt·es à faire le coup de poing pour bâillonner la culture. P. S.
Les Paravents, texte Jean Genet, mise en scène Arthur Nauzyciel, au Théâtre national de Bretagne, Rennes, du 29 septembre au 7 octobre ; à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris, du 31 mai au 19 juin 2024.
Stanislas Nordey
Passage d’un livre à la scène. En mettant en scène Le Voyage dans l’Est de Christine Angot, Stanislas Nordey donne chair au mots de l’autrice. Et c’est une autre manière de dénoncer les douleurs d’un passé ineffaçable et la violence inacceptable d’un père ayant soumis sa fille de 14 ans à l’inceste. Du chaos de l’intime aux problèmes de l’avenir de notre planète, Stanislas Nordey se lance en acteur d’un seul-en-scène sous la direction de Christophe Perton. Avec Évangile de la nature, il défend le texte de Lucrèce, De rerum natura (De la nature). Un rappel de la clairvoyance du poète latin rendant grâce à cette “nature des choses” qu’il s’agit de vénérer en sachant qu’elle supplante de loin l’invention d’un hypothétique ordre divin. P. S.
Le Voyage dans l’Est, texte Christine Angot, mise en scène Stanislas Nordey, au Théâtre national de Strasbourg, du 28 novembre au 8 décembre.
Évangile de la nature d’après Lucrèce, mise en scène Christophe Perton, au Théâtre national de Strasbourg, du 13 au 21 décembre.
Philippe Quesne
Créatures fantastiques et représentant·es de notre humanité mis·es à nu forment la ronde hallucinée du célèbre triptyque du Jardin des délices. Philippe Quesne s’offre une balade en compagnie du peintre Jérôme Bosch. Un parcours hors piste pour accoucher des utopies de demain et une manière pour lui de fêter les 20 ans de sa compagnie, Vivarium Studio. Cerise sur le gâteau, il nous fait le plaisir de reprendre pour l’occasion La Mélancolie des dragons, une épopée dans un parking et sous la neige, en forme d’inoubliable échappée belle. P. S.
Le Jardin des délices d’après Jérôme Bosch, mise en scène Philippe Quesne, à la MC93, Bobigny (dans le cadre du Festival d’Automne à Paris), du 20 au 25 octobre.
La Mélancolie des dragons, mise en scène Philippe Quesne, au Centre Pompidou, Paris (dans le cadre du Festival d’Automne à Paris), du 9 au 17 décembre.
Christophe Honoré
Deux adultes prétendument très doctes se lancent dans une conférence sur l’éducation face à un parterre d’enfants. Le fatras de leurs références d’un autre âge évoque les enfonçages de portes ouvertes chers aux Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert. Tout repose alors sur les réactions des enfants invité·es à exprimer leur force de contradiction. P. S.
Les Doyens, texte et mise en scène Christophe Honoré, au Théâtre de la Ville-Les Abbesses, Paris, du 8 au 18 novembre.
Lola Lafon
À travers des extraits de son journal et des réflexions puisées dans ses carnets de travail, la romancière nous livre un abécédaire intime témoignant de ses états d’âme. Accompagnée sur scène par le musicien Olivier Lambert, la performance littéraire de Lola Lafon nous entraîne au cœur de mots aptes à construire nos existences. P. S.
Un état de nos vies, texte Lola Lafon, au Théâtre du Rond-Point, Paris, du 22 novembre au 9 décembre.
Sophie Perez
Cadavre exquis d’images subliminales, cette adaptation de Titus Andronicus confronte la plus sanglante des pièces de Shakespeare à l’imaginaire délirant et grotesque de Sophie Perez. Rendant hommage à l’esthétique de l’artiste italien Carmelo Bene et au cinéma de Dario Argento, le spectacle s’amuse d’une cruauté à la romaine qui frise le Grand-Guignol en offrant des rôles en or à une troupe menée notamment par Stéphane Roger, Sophie Lenoir, Marlène Saldana et Gilles Gaston-Dreyfus. P. S.
La vengeance est un plat, texte Sophie Perez, Pacôme Thiellement, William Shakespeare, mise en scène Sophie Perez, à la MC93, Bobigny, du 25 au 30 novembre ; à l’Athénée-Théâtre Louis Jouvet, Paris, du 9 au 21 janvier 2024 ; à la Comédie de Caen, les 24 et 25 janvier 2024.
Nanni Moretti
Pour sa première expérience théâtrale, le cinéaste s’empare de deux comédies caustiques de l’autrice italienne Natalia Ginzburg. Qu’il s’agisse de Fragola e Panna ou de Dialogo, chaque intrigue se noue autour d’une série d’événements venant perturber avec humour la quiétude hébétée de bourgeois·es qui pensent que rien ne peut leur arriver. P. S.
Diari d’Amore (Fragola e Panna/Dialogo), texte Natalia Ginzburg, mise en scène Nanni Moretti, au TNP de Villeurbanne, du 30 novembre au 7 décembre.
Céline Fuhrer et Jean-Luc Vincent
Certain·es reconnaîtront dans ce quatuor de femmes qui habite le plateau des échos des voix pionnières du féminisme que furent celles de Simone de Beauvoir, Delphine Seyrig ou Françoise Dolto. Têtes pensantes de cette comédie, les deux ex-Chiens de Navarre organisent ici la résistance contre le Graf, un nouveau mouvement politique prônant le retour aux fondamentaux du patriarcat. P. S.
La femme n’existe plus, texte et mise en scène Céline Fuhrer et Jean-Luc Vincent, au Théâtre du Rond-Point, Paris, du 6 au 23 décembre.
Vincent Macaigne
Figure iconique du désordre sociétal, aussi inquiétante que jubilatoire et punk, le Richard III de Shakespeare inspire à Vincent Macaigne un nouvel opus joyeusement désespéré. Renouant avec les planches après six ans d’absence, l’artiste promet un happening apocalyptique s’accordant comme un exorcisme sauvage à la cruauté et à la bêtise de nos temps no future. P. S.
Avant la terreur d’après William Shakespeare, mise en scène Vincent Macaigne, à la MC93, Bobigny (dans le cadre du Festival d’Automne à Paris), du 5 au 15 octobre ; au Théâtre des Célestins, Lyon, du 16 au 23 mai 2024.
Danse
(LA)Horde
Chaque pièce du collectif (LA)Horde avec le Ballet national de Marseille crée l’événement. Age of Content, nouvel opus, ne devrait pas déroger à la règle. Il est question d’interroger notre “rapport corporel et émotionnel à l’abondance de contenus et de réalités simultanées caractérisant le monde contemporain”. P. N.
Age of Content conception (LA)Horde, à la MC2 Grenoble, du 19 au 21 septembre ; au TNP de Villeurbanne, du 27 au 29 septembre ; au Théâtre du Châtelet, Paris, du 5 au 8 octobre ; à l’Espace des Arts-scène nationale, Chalon-sur-Saône, le 17 novembre.
Trajal Harrell
Après le fastueux Portrait de Marlene Monteiro Freitas l’an passé, c’est au tour de l’Américain installé à Zurich Trajal Harrell de déployer son art en neuf temps. Avec, entre autres, Maggie the Cat, une de ses plus belles réussites, la reprise de The Köln Concert, des solos (Sister or He Buried the Body ; Demanding Whispers) et la pièce-culte qu’est (M)imosa. Harrell, un jour, Harrell toujours. P. N.
Portrait Trajal Harrell (dans le cadre du Festival d’Automne à Paris), neuf spectacles à Paris et en Île-de-France, du 22 septembre au 21 décembre.
Anne Teresa De Keersmaeker
Exit Above, créé au printemps dernier, part sur les routes européennes avec son pesant de blues et d’electro, ses emprunts à Shakespeare et toujours cette écriture du mouvement se déployant dans l’espace, réinventé, du théâtre. Anne Teresa De Keersmaeker puise auprès de nouveaux et nouvelles interprètes un sursaut de créativité. Grande pièce. P. N.
Exit Above, chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker, à l’Opéra de Lyon, du 20 au 22 septembre ; au Théâtre de la Ville, Paris, du 25 au 31 octobre.
Laura Bachman
Au sein de la compagnie Rosas ou du L.A. Dance Project, le talent de Laura Bachman faisait des étincelles. Autant dire que l’annonce d’une première chorégraphie en son nom avec la danseuse Marion Barbeau, “exfiltrée” du Ballet de l’Opéra de Paris (vue au cinéma en 2022 dans En corps de Cédric Klapisch), fait son petit effet. Ne me touchez pas les voit explorer le toucher, l’autre et le mouvement même. P. N.
Ne me touchez pas, chorégraphie Laura Bachman, à la Grande Halle de La Villette, Paris, du 16 au 18 novembre ; au Théâtre de la Ville, Luxembourg, les 8 et 9 décembre ; au Phénix, Valenciennes, le 24 janvier 2024.
Alice Ripoll
La Brésilienne avait montré l’étendue de son talent avec aCORdo ou Lavagem, qui traduisent bien cette danse politique, en prise avec certaines réalités de son pays. En plus de la reprise urgente d’aCORdo, on découvrira Zona Franca, création de saison sous la forme d’un rituel indiscipliné brassant musique, chant et danse. P. N.
aCORdo, direction Alice Ripoll, au Centquatre, Paris (dans le cadre du Festival d’Automne à Paris), du 8 au 12 novembre.
Zona Franca, chorégraphie Alice Ripoll, au Centquatre, Paris (dans le cadre du Festival d’Automne à Paris), du 9 au 11 novembre.
Cherish Menzo
La découverte de Jezebel, porté par la chorégraphe Cherish Menzo, en avait ébranlé plus d’un·e. Danseuse charismatique, elle se révèle chorégraphe inspirée. Darkmatter, nouveau chapitre dans son parcours, où Menzo partage la scène avec Camilo Mejía Cortès, travaille la distorsion du son et de la gestuelle, tout en inventant un corpus d’idées et de sens. Renversant. P. N.
Darkmatter, chorégraphie Cherish Menzo, au CND Pantin (dans le cadre du Festival d’Automne à Paris), du 16 au 18 novembre.
Opéra
Kirill Serebrennikov
C’est avec Lohengrin, et sous la baguette du chef Gustavo Dudamel, que Kirill Serebrennikov signe sa première mise en scène à l’Opéra de Paris. Réfugié en Europe après le début de la guerre en Ukraine, l’artiste russe, qui alterne cinéma, théâtre et opéra, a choisi un opéra de Richard Wagner, compositeur qui le passionne. Entre ses mains, l’œuvre romantique, portée par une musique magnétique, s’annonce comme une réflexion sur la guerre, en écho aux événements et aux souffrances actuels. P. S.
Lohengrin de Richard Wagner, direction musicale Gustavo Dudamel, mise en scène Kirill Serebrennikov, à l’Opéra Bastille-Opéra national de Paris, du 23 septembre au 27 octobre.
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