Plus prolifique que jamais (un album en 2021, de multiples collaborations rap, un album d’ambient), l’artiste anglais délaisse quelque peu le chant pour revenir à ses premiers amours dubstep sur un disque joliment anachronique.
Imaginez un monde où l’incommensurable talent de James Blake n’aurait pas sauté aux yeux des fervents défenseurs de la dernière vague dubstep. Imaginez encore celui où des labels et médias ne seraient pas tombés sous le charme de CMYK et de sa reprise de Feist (Limit To Your Love). Dans cet espace-temps, le premier album de James Blake aurait peut-être ressemblé à ce Playing Robots Into Heaven. Un disque humble, à la croisée des chemins entre la déférence pour ses aînés de la scène dubstep anglaise (Skream, Kode9, Mala) et la tentation du chant et du songwriting, une cartographie sonore des influences de son auteur. Mais l’Anglais en avait décidé autrement, préférant contribuer – grillant les étapes l’air de rien – à l’invention d’une soul futuriste avec son insolent et indémodable premier album (James Blake, 2011).
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Retour à l’envoyeur
Depuis plus d’une décennie, le génial Anglais s’est donc embarqué dans une fuite en avant sans retour possible et sans coup d’œil dans le rétro : un second album maximisant le son du premier, un troisième tortueux en diable (peut-être son plus beau), qui lui coûtera un épisode dépressif, puis l’heure de se frotter à la production pour quelques grands de l’industrie (Travis Scott, Metro Boomin, Rosalia, Frank Ocean, Kendrick Lamar). Si son avant-dernier album, Friends That Break Your Heart (2021), avait des allures de rétropédalage et de retour à l’épure (Say What You Will, formidable single qui questionne son statut de golden-boy de l’industrie musicale), ce sixième album est un virage à 180 degrés.
Dans une récente interview pour le podcast Broken Record, James Blake a confié que le producteur de renom Rick Rubin (Beastie Boys, Kanye West, Slayer) lui avait conseillé un jour, en toute simplicité, de faire ce qu’il savait faire de mieux. À savoir, lâcher le songwriting traditionnel pour revenir aux collages sonores dans lesquels il excelle. Sur Playing Robots Into Heaven, il ne s’agit que de ça : retrouver l’évidence de ses premiers essais discographiques. Appels du pied ambient à Brian Eno (le morceau-titre en clôture), retour au dubstep destructuré de ses débuts (sublimes Loading et Tell Me), nouvelle plongée aux origines jamaïcaines du genre (Big Hammer) et son appétence pour la pop (parfaite interpolation du Beautiful de Snoop Dogg et Pharrell sur I Want You To Know).
Un retour à la dance aussi euphorisante que plombante (comme chez Burial) sur lequel on a rarement entendu James Blake s’amuser autant, multipliant, découpant, tordant sa voix frêle, compilant compulsivement les samples ; assemblés, récolés dans un patchwork sidérant. Pas désuet, mais complètement anachronique, Playing Robots Into Heaven est la réverbération d’une époque pas si lointaine (du post-postdubstep ?), un album fantasmé et ludique, un rêve de gosse – pour nous comme pour lui. Un disque aussi précieux qu’inattendu, venant panser une plaie discographique qu’on ne savait pas ouverte.
Playing Robots Into Heaven (Island/Universal). Sortie le 8 septembre.
Concerts les 20 et 22 septembre à Paris (L’Olympia).
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