Dans une vidéo publiée, puis retirée, par la ministère de l’Éducation et de la Jeunesse, des adolescents rendent hommage à Martin Luther King en reprenant à leur sauce le célèbre discours du pasteur prononcé il y a soixante ans, sans mentionner la lutte contre le racisme. Autre détail, les cinq collégiens sont tous blancs.
Le 29 août 2023 a été une journée radieuse, on a réécouté Modern Times de Bob Dylan, sorti dix-sept ans plus tôt jour pour jour, et mis un peu d’ordre dans nos affaires avant le lancement officiel de la saison 2023/2024. Et puis le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse a partagé une vidéo mettant en scène des élèves reprenant à leur compte le célèbre “I have a dream” de Martin Luther King, extrait de son discours prononcé au Lincoln Memorial de Washington D.C. le 28 août 1963, il y a soixante ans.
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Dans un communiqué publié plus tard, les équipes du ministère dirigé depuis peu par Gabriel Attal précisait le contexte : “Les élèves présents sur cette vidéo sont les lauréats 2023 du concours The More I Say qui encourage la pratique créative de l’anglais au collège. Afin d’honorer la mémoire de Martin Luther King à l’occasion des 60 ans de son célèbre discours prononcé le 28 août 1963, ils étaient invités à prononcer un court discours en s’inspirant de celui de Martin Luther King en commençant par ‘I have a dream’.”
Ainsi réduit à l’état larvaire de simple gimmick, l’anaphore de King sert donc de support dynamique aux aspirations de cinq jeunes pour un monde meilleur (égalité, fin des discriminations, écologie, mais, bizarrement, pas la lutte contre le racisme), sur un fond musical que l’on dirait pioché dans une banque de jingles destinés à habiller les campagnes de promotion de politiques publiques diverses et variées (recyclage des déchets, sensibilisation au dépistage du cancer colorectal). Détail important, les collégiens sollicités, tous lauréats d’un concours d’anglais, sont blancs. Tous. Il n’aura d’ailleurs pas fallu longtemps pour que ce spot soit épinglé – avant que celui-ci ne soit retiré – pour son manque de diversité, à raison.
Une maladresse symptomatique
Même si, comme l’affirment Joie et Cinqué Lee dans le Coffee and Cigarettes (2003) de Jim Jarmusch, Elvis Presley a spolié Otis Blackwell et Junior Parker, ce qui n’enlève rien au talent du King (le musicien cette fois, pas le pasteur), on est en droit de se demander si pour les 60 ans de ce discours, certes chargé d’un message universel, mais d’abord antiraciste et hautement ancré dans un contexte historique, politique et géographique de lutte très précis, le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse (blanche) n’aurait pas pu avoir la bonne idée de donner, aussi, la parole à ces élèves pour qui ces rêves d’égalité ne sont pas seulement un vœux pieu, mais un besoin vital ?
Finalement, encore une fois, ce n’est pas ce que l’on dit qui est révélateur, mais ce que l’on ne dit pas. Ici, c’est l’inconscient de l’école française, premier lieu de reproduction et de perpétuation des inégalités, qui parle quand celle-ci fait mine de prendre son idéal républicain universaliste pour argent comptant. En justifiant son casting par la victoire d’une poignée à un concours à deux balles, elle en rajoute une couche, en convoquant l’idée du mérite cette fois. L’art de se fourvoyer encore et toujours.
Bonne rentrée.
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