Elles sont les voix critiques d’une scène internationale, un espace de discussion et surtout un observatoire de l’art en train de se faire. Focus sur 5 revues d’art contemporain.
Le Wiels de Bruxelles fêtait sa seconde Art Book Fair à la mi-septembre, MAD (le Multiple Art Days) faisait son retour à la maison rouge en octobre, au tour d’OffPrint de faire salon à Paris la semaine prochaine. Pas besoin de mentionner la grande prêtresse, la foire de Printed Matter Inc. et son double rendez-vous à New York et Los Angeles, pour conclure que les éditions indépendantes sont sur tous les podiums. À un autre rythme, moins effréné, mais non moins exigeant, les éditions périodiques, nommées revues d’art, sondent le monde de l’art et se hissent parfois en haut de la tour, tels des catalyseurs de la pensée et de la pratique artistique. Elles sont collaboratives par nature puisqu’elles rassemblent de nombreuses contributions d’artistes, critiques, historiens, curateurs, etc. Peu référencées et parfois un peu snobées par la recherche universitaire, elles participent à l’histoire des idées. On y découvre des auteurs et des artistes. Bref elles constituent « une grande bibliothèque et un petit musée », pour reprendre la formule de la mythique publication zurichoise Parkett. Passage en revue de 5 d’entre elles.
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Initiales
JB pour John Baldessari, MD pour Marguerite Duras, AF pour Andrea Fraser, PPP pour Pier Paolo Pasolini, chaque numéro porte en majesté de nouvelles initiales. Ce sont celles de « figures-source », artistes, philosophes, écrivains, architectes ou cinéastes. Toutes considérées comme les portes-parole, maîtres, précurseurs d’une pensée ou d’une méthode qui a fait école. Produite et éditée par l’ENSBA de Lyon et la Fondation d’entreprise Ricard, Initiales se présente comme «retro-prospective». Le jeu de mot traduit bien la démarche : en un numéro, dresser le portrait et constituer une monographie augmentée de l’une de ces figures choisies. À la manoeuvre, le directeur de rédaction Emmanuel Tibloux et la rédactrice en chef Claire Moulène (bien connue aux Inrocks !), réunissent une multitude de contributions originales et engagent un dialogue captivant (textuel et visuel) entre cette source et les contributeurs artistes et théoriciens.
Derrière les lettres NDP et les 8 pastilles oranges du dernier numéro ? Nathalie du Pasquier. Designeuse et peintre, membre fondatrice du groupe Memphis, son oeuvre, est redécouverte dans le champs de la mode et fait l’objet d’une rétrospective à la Kunsthalle de Vienne. Suivront les initiales PK (Pierre Klossovski) et un rendez-vous consacré à Nice et l’histoire de la Villa Arson dans le cadre des rencontres Initiales/La scène autour de scènes artistiques et le rôle catalyseur de certaines écoles, envisageant la transmission relative à un territoire.
Initiales, n°8 NDP, 128 pages, 15 €
Octopus notes
En lettres noires sur fond blanc, la couverture d’Octopus notes affiche son sommaire. L’octopus n’est pas une feuille de chou, mais trois volumes tenus par un élastique : l’opus, l’essai d’un auteur en master ou en doctorat, le propos, un entretien d’artiste, et la note, une édition produite par un artiste invité. Clément Rodzieslski proposait ainsi un pochoir « 4 Dattes » dans le n°1, Jean-Luc Moulène glisse ses images imprimées sur papier millimétré dans les pages de l’opus n°5. Octopus Notes a su réaliser une quasi-utopie, celle de diffuser l’art à « prix démocratique ». Pour le petit dernier, le n°7, c’est l’artiste Ulla von Brandenburg, nommé aux prix Marcel Duchamp 2016, qui a eu carte blanche, tandis que le Propos revient sur les théories de l’espace Queer. L’opus, écrit par Juschka Marie von Rüden, introduit la notion d’ « intéractivité » dans l’oeuvre de Franz West, par la voix de ses proches collaborateurs. Une incursion passionnante dans la période peu étudiée, 1973 – 1990, d’un artiste qui revient dernièrement sous les projecteurs. Les éditeurs (Alice Dusapin, Alice Pialoux et Baptiste Pinteaux) restent fidèles au projet initial, produire des multiples d’artistes, émergents ou reconnus, et publier de jeunes chercheurs et critiques (parfois pas encore diplômés). Pour cela, il faut de l’audace et du flair, et c’est ce qui fait d’Octopus notes un des périodiques les plus innovants dans le paysage éditorial.
Editions Octopus notes, n°7, 3 volumes, 20 €
l’incroyable
Partant du constat que l’adolescence est la grande oubliée des biographies, Clotilde Viannay décortique celle d’une personnalité dans la revue l’incroyable. Une obsession : « l’incroyable » passage de l’enfance à l’âge adulte, le moment des premières expériences et des choix décisifs, ces quelques années où le corps change, où l’on se cherche et finit par trouver son mode d’expression. À chaque numéro, un artiste et son adolescence, une époque et une thématique différentes. Après Juliette Greco, le grand écart : Jim Shaw, artiste iconique de Los Angeles, biberonné à la contre culture américaine des années 70 et passé par l’école CalArts (école expérimentale fondée par Walt Disney) avec ses complices Mike Kelley, Tony Oursler et Cary Loren. Au fil d’essais, de bandes dessinées, et d’entretiens avec Jim Shaw, les artistes Tony Oursler et Cary Loren, le musicien cyborg Neil Harbisson ou Natasha Vita-Mor figure du transhumanisme, on recueille les fragments d’une histoire aussi personnelle que commune. S’y télescopent, le proto-punk, l’arrivée de la télévision et du LSD, la bande à Jésus (fondamentalistes chrétiens dont Jim Shaw collectionnera les images), sa fille adolescente, le déclin de l’industrie américaine, le Michigan, Richard Nixon…Une plongée exaltante dans la mythologie américaine que l’artiste met à mal dans ses oniriques Dream Drawings et Dream Objects.
l’incroyable, n°2, 168 pages, 15 €
MAY
Petit format, photographies instantanées, esquisses et graffitis en couverture, May (quartely journal) est un espace d’échange en deux langues, l’anglais et le français – une carte maîtresse pour donner la parole aux multiples voix critiques d’une scène internationale. Catherine Chevalier et Eva Svennung, les fondatrices, l’ont organisé comme un livre-plateforme où s’articulent 3 fois par an les points de vue d’artistes, écrivains, curateurs et théoriciens sur l’art, ses pratiques et ses théories, et surtout son contexte de production. L’Histoire nous dit qu’une revue se crée en référence ou en lutte avec un courant de pensée. Pour May il s’agit de s’opposer à la confusion qui règne entre communication et information. Leur arme ? Des textes inédits ou réédités et traduits, des entretiens, des critiques d’expositions. Accessible, pointu, diablement percutant, chaque numéro, bâti sur mesure, développe diverses formes critiques de l’art (analyse juridique, esthétique, politique et poétique), comme prolongement ou point de départ d’une critique sociale. Ainsi, le n°16 répond au n°4 dédié la nébuleuse féministe des années soixante-dix italiennes mise en regard avec les débats féministes récents. On apprend quelques notions sur l’auto-abolition, la conscience de soi, le séparatisme… Claire Fontaine, “artiste readymade” au féminin et collectif fondé en 2004, y signe l’introduction « L’herbe et la pratique de la liberté ». May nous fait voir plus loin que l’horizon.
May quartely journal, n° 16, Novembre 2016, 256 pages, 15 €
Parkett
Tempérons le chauvinisme de cette sélection avec Parkett, maison zurichoise ayant ses annexes à New York. Parce que bien que Parkett en soit à son 98ème numéro depuis sa création en 1984, bien que ce ne soit ni tout à fait une revue, ni vraiment un livre, ce périodique (difficile de trouver un terme plus précis) reste un incontournable. Chaque numéro est une création et une monographie multiple, puisqu’il est entièrement réalisé en collaboration avec des artistes invités, du choix des auteurs jusqu’au design de sa tranche, sans compter les oeuvres produites à l’occasion. Son équipe éditoriale – Bice Curiger, Nikki Columbus, Mark Welzel, Jacqueline Burckhard, et Dieter von Graffenried – en a littéralement fait « une grande bibliothèque et un petit musée d’art contemporain ». Preuve en est Parkett s’expose régulièrement à New York, Paris, Beijing, Venise… Dans ses archives à faire fantasmer tout amateur d’art, on compte les oeuvres de Matthew Barney, Louise Bourgeois, Francesco Clemente, Tracey Emin, Peter Fischli/David Weiss, Rebecca Horn, Ilya Kabakov,, William Kentridge, Cindy Sherman…avec plus récemment celles de Camille Henrot, Ed Atkins, Theaster Gates, Lee Kit, Mika Rottenberg, Iman Issa et pour février 2017, Cao Fei, Lynette Yiadom-Boakye, Adrian Ghenie et Omer Fast.
Parkett, n°98, 39 €
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