Avec son avatar, le facétieux touche-à-tout Quentin Dupieux a publié un nouvel album plus accessible mais toujours aussi vivifiant. Sur « All Wet », il ressort également sa marionnette fétiche, Flat Eric, et invite des voix amies à partager sa folie douce. Entretien.
On n’avait pas vu Flat Eric en couverture d’un de tes albums depuis Lambs Anger. C’est un retour aux origines ?
Ce personnage revient de manière cyclique. J’ai toujours craint de trop l’utiliser, je ne voulais pas qu’il devienne un produit de supermarché. Si je l’avais tout le temps associé à ma musique, il serait devenu trop identifiable. A l’époque, j’ai mal géré le truc, j’ai eu envie d’étouffer le succès très vite. On m’a proposé tout un tas de trucs avec cette marionnette, des émissions de TV, des conneries, des sacs à dos, des chapeaux… J’ai tout étouffé car je sentais le danger que Flat Eric pouvait représenter.
Quelle idée de départ t’a donné envie d’entrer en studio et d’attaquer
ce nouvel album ?
Ça fait longtemps que j’essaie de faire de la musique avec Siriusmo, qui m’a été présenté à Berlin comme un fan. J’ai découvert sa musique que j’ai trouvée incroyable, c’est un vrai petit génie. On essayait de travailler à distance, mais il se mettait en retrait, ça ne marchait pas. Il doute plus que moi, qui suis assez fonceur. J’ai commencé en samplant une de ses maquettes et je me suis dit qu’un disque était en train de naître. Ça
a donné le morceau All Wet, qui a ouvert l’envie d’inviter d’autres gens, de revenir en France chez Ed Banger… J’avais besoin de ce disque, besoin d’un souffle.
Le disque s’ouvre par une voix d’enfant…
Oui, c’est ma fille. Elle a presque 2 ans maintenant, c’est elle qui a guidé
le disque, elle l’ouvre, donne l’énergie. Si quelqu’un me dit “on sent que c’est ton disque adulte”, je n’ai plus qu’à me tirer une balle, j’arrêterai. Cette musique est au contraire complètement liée à l’enfance, à des trucs primaires… C’est du fun…
Du coup, All Wet est sans doute ton disque le plus chanté. C’est quelque chose que tu veux creuser ?
Je suis hyperlimité, je peux faire de la musique comme on fait des remixes, mais écrire de vraies chansons, c’est autre chose… Les outils d’aujourd’hui offrent des possibilités infinies. Moi, je ne suis pas un bon musicien mais j’ai toujours été très bon pour m’arrêter. J’ai ça en commun avec Alex (Boys Noize) : lui aussi sait quand arrêter, quand envoyer le master. J’adore ça.
All Wet sonne comme un album témoin de son époque, celle de la mixité de genres…
J’ai passé ma vie à écouter de la musique comme un fan. Maintenant, c’est l’inverse : je n’écoute plus que ce qui passe à la radio, dans ma bagnole, à Los Angeles. Les moments où j’écoute un morceau spécifique sont devenus très rares, c’est genre trois fois par an. Je branche mon téléphone et j’écoute un morceau qui me manque.
Le disque est en même temps très représentatif de ton style. Comment jongles-tu entre musiques populaire et expérimentale ?
Comme je ne suis pas musicien, ma musique est, de fait, expérimentale.
Je suis un mec qui essaie, qui fait des expériences.
En quoi ton travail de musicien influence-t-il celui de cinéaste,
et vice versa ?
C’est une sorte de mécanique. Quand je me lève le matin, je sais si je suis dans le bon état pour faire de la musique ou écrire un film. Disons que je passe de l’un à l’autre… avec brio. La musique, c’est un truc d’énergie. Quand j’en fais, je danse en même temps, j’écoute fort, je déconnecte. Au contraire, il n’y a rien d’énergique dans le fait d’écrire un film, c’est très cérébral. La plupart de mes idées de films viennent pendant
le demi-sommeil, alors que la musique, c’est un truc super éveillé.
Tes films semblent construits comme des disques (thèmes, variations, leitmotivs…). Dans Wrong Cops, les saynètes semblent être les morceaux d’un DJ…
C’est exactement ça. J’avais sept chapitres, un par jour de la semaine, pour s’intéresser à chaque fois à un personnage en particulier. Mais quand je les ai mis bout à bout, ça ne marchait plus du tout. J’ai tout bouleversé aun montage, en recréant une dynamique.
Est-ce que tu te nourris beaucoup du travail des autres ?
Je me nourris plutôt de films que j’ai pu voir il y a une douzaine d’années. En musique, c’est pareil, j’ai écouté de la musique comme un malade, de Miles Davis à des trucs expérimentaux, de Pierre Henry au rap, j’étais obsédé. Toute cette nourriture-là m’habite encore. C’est la même chose au cinéma : aujourd’hui, il y a très peu de cinéastes qui me font ressentir des trucs… C’est quand on est jeune qu’on se prend des gifles.
album All Wet (Ed Banger Records/Because)