L’auteur du “Roman de Jim” signe un texte poignant qui met en scène un narrateur malheureux, pour toujours inadapté.
Pierric Bailly se taille une place à part dans le paysage littéraire français, avec sa prose sans esbroufe et sa capacité à installer, dès les premières pages, une atmosphère singulière. Chez lui, les hommes trimballent des gouffres insondables et on se demande ce qui pourra les consoler.
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Julien, un trentenaire mutique, reclus dans les montagnes du Haut-Jura , passe l’été à garder un troupeau de moutons, comme le faisait son grand-père avant lui. Le week-end, sa copine le rejoint depuis la ville voisine. À elle non plus il ne se confie pas. Julien a choisi, depuis plusieurs années, cette vie précaire qui semble lui procurer un certain équilibre. Jusqu’au jour où il a des nouvelles d’un ami de lycée perdu de vue. Alexandre a sans aucun doute énormément compté pour lui, et il vient de tuer quelqu’un.
De la montagne au gouffre
L’immensité des paysages du Haut-Jura est à la mesure de la douleur de ce narrateur qui, se rapprochant de la femme d’Alexandre, en tombe éperdument amoureux. Bailly ne raconte pourtant pas une simple histoire de couple. Plutôt le ratage de toute une vie. Celle de son héros, pétri d’une souffrance et d’une inadaptation qui vont chercher leur source très loin. L’auteur laisse deviner le passé de Julien avec pudeur.
Ici, parce que le narrateur est brusquement ramené au souvenir de ses années de lycée, Bailly met en évidence la somme d’influences, de hasards, de rencontres qui peuvent infléchir le cours d’une existence. Julien ne raconte pas tout de lui, et l’auteur travaille subtilement les questions de transmission et d’héritage. L’enfance de Julien paraît tout entière concentrée dans sa relation à son grand-père, dont il porte le surnom, John. Ses origines italiennes sont à peine suggérées, comme un déracinement ancien dont l’auteur laisse imaginer les traces.
À partir de cette vie qu’il nous donne à lire, Bailly construit un monde et une problématique, car, dans ce texte, les questions sur l’intime, l’amour, l’identité sont toujours analysées d’un point de vue sociologique, et ne peuvent être dissociées du milieu d’origine. Chaque trajectoire individuelle est ici le fruit de déterminismes, conflits de classe et enjeux de pouvoir. Autant de forces agissantes que ne maîtrisait pas le narrateur durant ses années de lycée, quand il a eu la sensation que tout pouvait changer.
La Foudre de Pierric Bailly (P.O.L), 464 p., 24 €. En librairie.
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