Une grande fresque politique et philosophique où le merveilleux permet à l’écrivain de dénoncer la folie des hommes dès qu’ils ont le pouvoir. Du pur Rushdie.
Il parlera de la violente agression au couteau dont il a été la victime le 12 août 2022 et qui lui a coûté un œil dans Knife, un texte qu’il est en train d’écrire et dont la parution est prévue en 2025. Achevé bien avant l’attentat terroriste, La Cité de la victoire ne s’inscrit pas dans la veine autobiographique de Salman Rushdie façon Joseph Anton (2012).
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C’est un pur roman, et du pur Rushdie, à savoir qu’il appartient à la veine dominante de son œuvre, la fable politique. Depuis Les Enfants de minuit (1981), Rushdie aime mêler le conte oriental et la mythologie indienne avec une distance critique, pour mieux démontrer la folie des hommes quand ils confondent foi et loi, État et culte religieux.
Un empire où le patriarcat serait éradiqué
Dans ce nouveau grand roman épique, Rushdie nous entraîne dans le sud de l’Inde au XIVe siècle. Après une bataille qu’il qualifie d’“insignifiante”, opposant deux royaumes, les femmes qui y ont perdu leur mari se suicident par le feu, et une petite fille de 9 ans assiste à l’immolation de sa mère.
Orpheline, Pampa Kampana va être recueillie par un prêtre, mais surtout remarquée par une déesse qui lui fait don de pouvoirs magiques et se met à parler à travers sa voix, l’investissant de la mission de créer une ville, Bisnaga (la “ville de la victoire”, donc). Un empire où le patriarcat serait éradiqué, où les femmes deviendraient les égales des hommes, et où les arts régneraient.
La notion du bien est souvent un prétexte usé par les hommes pour asseoir leur pouvoir
Pampa rencontre deux frères, leur remet un sac de graines magiques pour qu’ils fassent pousser la ville dont ils deviendront, à tour de rôle, le roi, chacun tombant amoureux d’elle. Au cours des deux cent quarante-sept ans que dure sa vie, sa chère ville sera l’enjeu de luttes sanglantes entre les hommes, l’instrument de leur vanité.
Avouons qu’on finit par se perdre entre les guerres, les meurtres, les bains de sang, et on en passe, narrés par Rushdie. D’autant qu’on aura vite saisi son propos, qu’il déplie de toute façon de livre en livre : la notion du bien est souvent un prétexte usé par les hommes pour asseoir leur pouvoir.
Un point de vue résolument féministe
Si l’écrivain est virtuose dans sa description de certaines scènes, La Cité de la victoire n’a hélas pas la démesure, la sensualité, l’inventivité, la fantaisie ni l’humour de son magistral Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits publié en 2015.
Rushdie impose ici un point de vue résolument féministe, jusqu’à le marteler un peu lourdement. Il dénonce l’hypocrisie du patriarcat à travers la figure de ce prêtre, fanatique religieux, qui avait recueilli la petite Pampa dans sa grotte et la violait tout en prônant les lois religieuses les plus radicales sur le peuple.
À travers la naissance et la chute de cet empire, et tous ces imbroglios auxquels il a tenté de nous intéresser, Rushdie conclut en nous montrant la vanité de la politique : ce qui restera, c’est le grand poème épique écrit par Pampa Kampana, qui lui survivra et survivra, surtout, à tous ceux qui se sont agités à la tête du pouvoir. Parce que “les mots sont les seuls vainqueurs”.
La Cité de la victoire de Salman Rushdie (Actes Sud), traduit de l’anglais par Gérard Meudal, 336 p., 23 €. En librairie le 6 septembre.
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