Dans un style épuré, Rabah Ameur-Zaïmeche filme la puissante vitalité de la vie d’une cité et la tragédie qui s’annonce.
Il est toujours passionnant d’observer un cinéaste venir prendre des nouvelles d’un territoire, comme pour mieux le réactualiser et le comparer à sa précédente étude. Plus de vingt ans après Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe ? (2002), premier essai aussi saisissant que foutraque tourné en DV dans la cité des Bosquets, à Montfermeil, le cinéaste Rabah Ameur-Zaïmeche retourne en Seine-Saint-Denis pour y retranscrire un fait divers survenu en 2014, au cours duquel un gang lourdement armé a braqué le convoi d’un riche prince saoudien.
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Tourné en réalité entre Bordeaux et Marseille, ce qui accentue sa portée mythologique tout en préservant la précision de son anthropologie urbaine, le film du Franco-Algérien ne travestit jamais son territoire, ni son sujet, en objet de spectacle, et les déploie vers une abstraction melvillienne envoûtante.
Un somptueux panoramique traversant la cité
Toujours aussi attachée à dépeindre par d’amples et suspendus mouvements la structure des blocs de béton de son premier long métrage, la caméra d’Ameur-Zaïmeche ouvre ce nouveau film au rythme d’un somptueux panoramique à 360 degrés traversant l’horizon de la cité tout en annonçant le cycle tragique de violence froide qui va s’abattre sur le récit. Adossé à un balcon, un homme fume. Présent et absent à la fois, il dessine les contours des personnages que l’on va suivre, aussi flottants qu’étouffant sous leur densité tellurique.
Par une admirable épure et un élégant sens de l’ellipse, la mise en scène trouve un parfait équilibre entre une distanciation stylistique et les formidables éclats de vie qui viennent embraser les séquences. Une course de chevaux célébrée en groupe dans un PMU, un déjeuner en terrasse d’un food truck ou encore deux blocs musicaux en forme de transe sidérante… on avait rarement vu des tableaux du quotidien d’une cité habités par une si puissante vitalité.
Après le Christ, Robin des Bois ressuscité
Après avoir repolitisé le Nouveau Testament et réinvesti le Christ comme figure révolutionnaire dans Histoire de Judas (2015), Ameur-Zaïmeche poursuit sa démarche : ramener du politique là où on ne veut plus en voir. En représentant un vol parfaitement justifié et guidé par un sens de la communauté (le gang dépensera son butin localement auprès des acteur·rices de la cité), c’est à la figure de Robin des Bois redistribuant l’argent du roi à sa famille de substitution que le cinéaste redonne vie.
Une utopie politique à laquelle la fiction va croire en même temps que ses héros avant de la faire se percuter au film noir le plus rugueux. Car c’est bien la décomposition sociale puis la tragédie produite par le quartier qui sont saisies avec une colère lucide. Deux décennies après Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe ?, Le Gang des Bois du Temple lui répond : rien, rien n’a changé.
Le Gang des Bois du Temple de Rabah Ameur-Zaïmeche, avec Régis Laroche, Marie Loustalot, Philippe Petit (Fr., 2023, 1 h 52). En salle le 6 septembre.
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