À travers ses sculptures qui se jouent de l’échelle des images numériques, l’artiste australien investigue les polarités de la vie et propose un parcours existentiel fascinant.
Comme dans un jeu vidéo, deux salles se font face. Comme dans la vie, le sens n’est jamais indiqué, et encore moins l’issue. La plupart des grands récits existentiels reposent sur un choix cornélien dont découlent les affres d’une liberté humaine, trop humaine, en l’absence de points de vue surplombants ou d’écritures divines.
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À la Fondation Cartier pour l’art contemporain, l’architecture de verre de Jean Nouvel est ainsi faite : à l’étage supérieur, les espaces d’exposition se composent de deux volumes aux proportions similaires. D’ordinaire, on le remarque peu, puisque le ou la spectateur·rice demeure guidé·e. Lors de l’exposition du sculpteur hyperréaliste Ron Mueck, le parcours, précisément, joue des caractéristiques de l’espace.
De la mort à la naissance
D’un côté, la mort : une œuvre monumentale, composée de cent gigantesques crânes humains, posés à même le sol, réalisés en fibre de verre à partir de moules géants, entre lesquels, alors, chacun·e erre et serpente – voici Mass, 2017. En vis-à-vis, la naissance : un nouveau-né, encore déformé, cordon ombilical apparent, gît de sa stature elle aussi monumentale, traité en tons de chair – voilà A Girl, 2006.
Dans les deux cas, le traitement déréalise le rendu réaliste, comme si l’on avait, du doigt, zoomé sur un écran selon la nature des images numériques actuelles, à la fois plus vraies que nature dans le rendu photographique et, en même temps, totalement malléables et ductiles en ce qui concerne leurs dimensions.
La comparaison avec la texture actuelle des images, celles de nos écrans, celles que nous, génération de la “Petite Poucette”, comme la qualifiait le philosophe Michel Serres en 2012, tenons au creux de la paume, s’impose ici particulièrement : Ron Mueck, en effet, est un habitué de ces murs.
Cette nouvelle exposition est la troisième de l’Australien, britannique d’adoption, à la Fondation Cartier : en 2005, pour sa première exposition sur le sol français, puis en 2013, lors du succès populaire que fut sa deuxième proposition – rappelez-vous, le couple sous un parasol rayé, là aussi larger than life, plus grand que la vie elle-même, c’était lui.
Le libre arbitre contre l’algorithme
L’évolution des images et de la perception n’est pas la seule à entrer en jeu dans la lecture. L’artiste, réputé pour être peu disert, laisse chacun·e face à ses questionnements personnels, se refusant à surinterpréter ses pièces par des enrobages de discours et autres chapes de concepts.
La proposition se poursuit à l’étage inférieur, assemblant œuvres récentes et plus anciennes issues des années 2000. Toutes prolongent la veine existentielle, qui se refuse à singulariser l’humain·e en demeurant à son pourtour : en bas, un autre crâne, un second nouveau-né, mais également un groupe de chiens. À l’exception de cet énigmatique homme à la dérive sur une barque, davantage une fable qu’un portrait – on pense à Charon ; comme avec les chiens, à Cerbère –, aucune représentation d’un·e humain·e qui aurait, en quelque sorte, déjà effectué pour nous le choix : pas encore de particularités reconnaissables, pas de précision d’identité particulière.
En ressortant, les possibles ne nous en apparaissent que plus clairement, dans leur infini fourmillement du quotidien et de la vie réelle, vécue, c’est-à-dire une fois un choix effectué. Face à l’impuissance et à l’enfermement que l’humain·e contemporain·e pourrait éprouver, voyant ses chemins fléchés par les bulles de filtres et autres prédictions algorithmiques, Ron Mueck nous fait précisément apparaître ceci : le choix demeure libre, et cette liberté ambiguë serait la définition précise de ce qu’exister veut dire.
Ron Mueck à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris, jusqu’au 5 novembre.
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