Alors que le festival dévoilera son palmarès ce samedi 12 août, retour sur deux films parmi les plus puissants de la compétition : “Nuit Obscure – Au revoir ici, n’importe où” de Sylvain George et “El Auge del Humano 3” d’Eduardo Williams.
Dans la succession des projections en festival, il y a une émotion particulièrement grisante à découvrir des films qui, tout à coup, rompent avec les catégories et frontières esthétiques établies, qui refusent de se conformer aux normes et discours préconçus et qui préfèrent plutôt engager le cinéma dans une recherche à la fois esthétique, éthique et politique, pour appréhender le monde de manière inédite.
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Bref, de découvrir des films qui ouvrent des possibles. Les nouveaux longs-métrages de Sylvain George et Eduardo Williams, présentés en compétition, font assurément partie de cette catégorie.
Des gestes de la résistance
Avec Nuit Obscure – Au revoir ici, n’importe où, le documentariste Sylvain George, auteur d’une œuvre politique majeure, filme de nouveau les jeunes migrants marocains qui tentent de rejoindre l’Europe depuis Melilla, une enclave espagnole au Maroc. Se refusant à apposer une grille de lecture préconçue aux images, le cinéaste ne fabrique aucune progression ou dramaturgie artificielle, comme pour figurer la manière dont la fermeture des frontières empêche à ces enfants de déployer leurs actions dans le temps et l’espace.
Séparées par des fondus au noir, les séquences se composent d’une série de plans assez courts, souvent déliés les uns des autres et presque autant attachés aux individus qu’à l’environnement matériel de Melilla. En se défaisant des conventions, ce montage permet alors de rendre toute leur singularité et intensité à ces gestes, comme autant de micro-actions par lesquelles ces jeunes Marocains s’approprient et habitent un territoire.
Si l’on reconnaît dans ces gestes des signes et images typiques de l’enfance, ceux-ci sont pris dans un contexte politique qui en modifie la nature : les parties de cache-cache se font contre des policiers, les barrières escaladées mesurent trois mètres de haut et sont recouvertes de barbelés, les égratignures sont de véritables blessures, etc. Ce hiatus terrible condense toute la violence et la barbarie de la politique migratoire, qui aura conduit à transformer les jeux de l’enfance en des gestes de survie et de résistance.
Une exploration hallucinatoire
Il est également question de la jeunesse contemporaine dans El Auge del Humano 3 d’Eduardo Williams. Après son sidérant premier long-métrage, Eduardo Williams met de nouveau en scène des groupes d’ami·es éparpillé·es aux quatre coins du monde, tout en allant encore un peu plus loin dans l’expérimentation. Ce qui unit ces êtres, c’est une même manière d’opposer au mode de vie abrutissant dicté par le monde du travail, la curiosité et le désir d’explorer de nouveaux territoires. D’une puissance visuelle fulgurante, le film fait de cette aspiration libertaire son projet esthétique.
On saura gré à Eduardo Williams d’être l’un des rares cinéastes à véritablement prendre en charge le continent formel ouvert par l’image numérique. Alors que les personnages s’aventurent et se perdent dans une jungle, sur une plage ou au sommet d’une montagne, l’image est traversée de l’intérieur par de subtils déplacements et semble se plier sur elle-même, jusqu’à entrer dans une convulsion numérique hallucinatoire qui tord le monde et la réalité.
Williams réussit à nous placer dans un état inouï d’attention perceptive pour nous faire progressivement glisser vers un point de vue non humain. En partie filmé avec les techniques de la VR, le film nous donne l’impression d’être un spectre flottant, pris dans les perturbations des ondes numériques qui traversent le monde. En sélectionnant ce film, ou encore celui de Radu Jude, la compétition de Locarno s’est ouverte aux avant-postes de la création contemporaine – autant dire que l’on espère les voir haut dans le palmarès révélé ce samedi 12 août.
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