Après un détour par la musique instrumentale, Bill Ryder-Jones, l’ancien guitariste de The Coral, revient au songwriting avec un album désarmant d’humilité et de beauté. Critique et écoute.
« Ce groupe a été le plus important dans ma vie. Tout ce que je sais de la musique, c’est à lui que je le dois.” Contrairement aux apparences, Bill Ryder-Jones ne parle pas ainsi de The Coral, le groupe dont il fut le guitariste pendant huit ans, mais de Gorky’s Zygotic Mynci, fanfare psychédélique galloise des années 90/00 qui méritait amplement un tel hommage exalté. Il n’est pas évident toutefois, hormis peut-être le temps d’un Wild Swans aux plumes légères, de faire le lien entre les chansons bariolées et folledingues des Gorky’s et le songwriting en contre-jour que l’on entend tout au long de A Bad Wind Blows in My Heart, le premier véritable album solo de Ryder-Jones.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Mieux qu’à l’écriture des chansons, ces grands frères d’âme que Bill découvrit lorsqu’il était encore au lycée ont indirectement présidé à leur existence même. “Lorsque j’ai commencé à composer après mon départ de The Coral, je manquais cruellement de confiance en moi. Je ne me sentais pas du tout doué pour le songwriting. J’ai envoyé quelques demos à Laurence Bell, le patron de Domino, en lui précisant que je ne comptais pas poursuivre dans cette voie. C’est lui qui a trouvé les mots justes pour me convaincre. Il m’a dit de penser aux gamins qui seraient touchés par mes chansons comme je l’avais été par celles des Gorky’s. En gros, il me disait que je n’avais pas le droit de renoncer.”
Si on a chaque jour de bonnes raisons de remercier le bon Laurence, celle-ci figurera sans doute en tête de liste. Il aurait en effet été impensable que des joyaux comme Hanging Song, Christina That’s the Saddest Thing ou You’re Getting Like Your Sister demeurent enfermés à double tour dans le cerveau de leur auteur sans jamais avoir la chance de connaître la lumière. A l’approche de la trentaine mais physiquement encore adolescent, Bill Ryder-Jones est très différent des lads à grandes bouches de Liverpool auprès desquels il a grandi. Sa modestie affichée et son hypersensibilité palpable imprègnent une écriture et un chant qui n’ont plus grand-chose en commun avec la pop d’inspiration sixties de The Coral.
Il convient de revenir toutefois un instant sur ce groupe, sans doute le plus doué et prometteur apparu lors du ressac de la vague britpop, et dont l’insuccès chronique en Angleterre reste un phénomène inexplicable. Comme pour Laurence récemment avec Bill Ryder-Jones, c’est Noel Gallagher qui aura encouragé avec force ses malchanceux voisins de ne pas jeter l’éponge. Mais même un tel bruyant parrainage n’aura pas suffit à les faire décoller du milieu de tableau où ils semblent enchristés depuis six albums – et qu’on espère sans y croire les voir quitter avec le septième actuellement en préparation.
Au sein de ce groupe qu’il a rejoint lorsqu’il avait 18 ans, Bill Ryder-Jones s’est toujours senti comprimé et mal à l’aise, écrasé par le poids de James Skelly et Nick Power, les deux compositeurs principaux du sextet. Il aura toutefois apporté sa touche de guitare feutrée ainsi que des idées d’arrangements flirtant avec les musiques de films de western et quelques cordes également inspirées des soundtracks d’Ennio Morricone ou John Barry.
Une première fois démissionnaire et rattrapé au vol par les autres (“Je n’en pouvais plus des tournées, de la weed qui circulait dans le bus, de cette vie sur la route qui ne semblait mener à rien”), il partira pour de bon en 2008, sans regret mais sans objectif non plus, sinon celui d’écrire des musiques pour le cinéma. Les propositions en la matière n’étant pas légion, hormis pour le court métrage d’un ami qui fera l’objet d’un premier ep (A Leave Taking Soundtrack) en 2011, il va devancer l’appel en composant une fausse bande-son inspirée par le roman d’Italo Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur.
Baptisé If…, ce disque souvent splendide publié l’an dernier de manière confidentielle révélait l’étendue de la palette d’un guitariste trop souvent réduit aux rôles secondaires – avec les Last Shadow Puppets notamment. Majoritairement instrumentales, ces pièces pour piano et cordes qui rappelaient autant Georges Delerue que Ludovico Einaudi paraissaient ouvrir une autre voie définitive pour lui, à l’écart des salles rock et des batailles stériles du NME.
“Je reviendrai sans doute à ce genre d’écriture, mais pour moi If… était une transition nécessaire avant de revenir à la pop, même si elle fut assez douloureuse. Sur le nouvel album, je ne voulais pas de cordes, pas d’instruments envahissants, pour conserver un côté intime, modeste. Je l’ai enregistré chez ma mère, presque seul, pour les mêmes raisons.” Et pour un résultat d’une beauté désarmante à laquelle jusqu’ici seuls des Elliott Smith et Sufjan Stevens nous avaient habitués.
{"type":"Banniere-Basse"}