Emma et Apollo s’aiment, se marient et ont un enfant. Et là, tout dérape. Conte cruel et introspectif, la série est un reflet des préoccupations contemporaines.
Il y eut d’abord un roman de Victor LaValle, entre la fantasy, l’horreur et le mélo, publié aux États-Unis en 2017 et catapulté dans la liste des best-sellers de Time Magazine – sa première traduction française paraît au mois d’octobre chez ActuSF.
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Il y a maintenant la série télé, l’industrie étant plus que jamais à la recherche de voix originales et d’univers cohérents. Créée par Kelly Marcel qui a pris en charge l’adaptation de manière fidèle, The Changeling se traverse d’abord comme une odyssée, un long voyage saturé de lieux tour à tour étranges et familiers, où l’on goûte à des noirceurs diverses en suivant des personnages égarés dans leurs projections, leurs affects et leurs traumas. On croise aussi bien le New York d’il y a cinquante ans que celui d’aujourd’hui, on visite des mondes très différents avec une certaine fluidité, un vrai souffle intime.
Si leur rencontre s’avère atypique, le couple fait ensuite ce que lui dicte la société : se marier et avoir un enfant
Au centre de l’histoire se trouvent un homme et une femme racisé·es, Emma et Apollo, chacun·e envisagé·e à des moments fondateurs de leur existence. Leurs histoires sont chargées en parentalités difficiles, socialement marquées par la pauvreté et l’exclusion. Si leur rencontre s’avère diablement atypique, le couple fait ensuite ce que lui dicte la société : se marier et avoir un enfant. C’est à peu près là que tout dérape. La série déploie son programme dérivatif, qui mène dans des contrées franchement surprenantes.
Sans trop dévoiler une intrigue aux circonvolutions complexes, on dira que The Changeling se situe dans la lignée de séries introspectives et néanmoins spectaculaires, qui irait de Lost à This Is Us, en passant par Servant. Réalisatrice du premier épisode, Melina Matsoukas (clippeuse remarquée grâce à son premier film Queen & Slim, en 2019) a su donner le ton : les scènes semblent constamment dévoiler un double fond, visuel ou narratif. Elle n’a malheureusement pas réalisé tous les épisodes et cela se voit, la série multipliant parfois les tics horrifiques et sci-fi dont elle aurait pu se passer.
Un imaginaire féministe
Car The Changeling raconte au fond une histoire simple et profonde, celle des parents à la fois heureux et démunis face à leurs enfants, pris dans un véritable écartèlement existentiel. Il est question assez vite de sujets très durs comme l’infanticide, mais aussi et surtout de la manière dont un homme et une femme reçoivent, à leurs places respectives, la venue au monde d’un être dont il et elle sont responsables.
La série adopte le point de vue de l’expérience féminine tout en donnant à son personnage masculin principal la place centrale dans l’arc narratif. Un paradoxe qui se résout de façon assez convaincante dans la deuxième partie de saison, où le récit brasse un imaginaire féministe finement tissé. Il est question des femmes comme de “bêtes puissantes” et de la vérité sur les sorcières. On y tutoie l’utopie, sans peur d’aller franchement dans la fabrication d’un monde rêvé. On y voit aussi une femme poser la question suivante, en toute sincérité : “Avez-vous déjà eu la sensation que votre bébé n’était pas vraiment le vôtre ?” L’amour parental obligatoire, ici, a un prix. Une série intrigante, dans le mille des préoccupations contemporaines, mais sans aucun cynisme.
The Changeling de Kelly Marcel, avec Lakeith Stanfield, Adina Porter, Clarck Backo. Sur Apple TV+ à partir du 8 septembre.
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