Le cinéaste, oscarisé en 1972 pour “French Connection”, est mort à Los Angeles ce lundi 7 août. Il avait 87 ans. Son dernier film “The Caine Mutiny Court-Martial” sera présenté cette année à la Mostra.
Francis Ford Coppola a été l’un des premiers, hier, à rendre hommage à son “premier ami” William Friedkin, rappelant qu’il est sans doute le seul cinéaste à avoir sauvé la vie d’un homme avec un film. En 1962, Friedkin avait en effet réalisé son tout premier film, un documentaire (nous y reviendrons) de 52 mn, The People versus David Crump, sur une affaire de justice et qui avait par la suite, sauvé la vie d’un homme condamné à mort pour un crime qu’il n’avait pas commis, ce que montrait le film. Ainsi débuta donc Friedkin, qui était né dans une famille de juifs d’Ukraine qui avait fui les pogroms du début du XXe siècle pour y vivre pauvrement à New York, mais pour vivre : en sauvant une vie. Et en réalisant un documentaire.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
William Friedkin a toujours considéré qu’il était un documentariste qui réalisait des fictions. Sans doute parce qu’avant d’écrire et de tourner un film, il enquêtait minutieusement sur les faits, sur les milieux qu’il allait filmer : pour Cruising (La Chasse), il avait lui-même fréquenté les lieux de rencontre de la communauté gay cuir de New York avant d’y infiltrer son personnage principal, joué par Al Pacino, un flic qui enquêtait dans ce milieu. L’Exorciste – et c’est ce qui fait sa force – est basé sur des faits réels dont Friedkin avait rencontré certain·es acteur·rices. Il avait eu accès à l’enregistrement sonore d’une réelle séance d’exorcisme par un prêtre. Et ce qui fait peur, dans ce film, c’est qu’il est filmé de manière réaliste. Au moment où il avait pour projet de tourner un film sur Jack L’Eventreur, il savait tout sur ce qu’il pensait être le vrai tueur en série de Whitechapel.
Les films de Friedkin ne ressemblaient pas à ceux des autres
Coppola salue aussi, dans son hommage, malicieusement, son côté irascible (que FFC peut aussi avoir). Friedkin avait la réputation de pouvoir être très désagréable en interview, mais il ne l’était pas toujours. Cela dépendait des jours. On le disait bipolaire. Peut-être était-il tout simplement lunatique. Ses personnages peuvent l’être aussi, ils sont rarement tout d’une pièce, ne sont pas particulièrement sympathiques et semblent suer l’angoisse quand ils agissent. En fait, il a réalisé de très bons films et d’autres pas terribles : une carrière en dents de scie, qui reflète aussi un caractère sans doute perclus de doutes.
Les films de Friedkin ne ressemblaient pas à ceux des autres. De la petite vingtaine d’œuvres qu’il a réalisée pour le cinéma, les titres de grands films ressortent, et ils sont principalement tournés dans les années 1970 et 1980 : French Connection en 1971 (oscar du meilleur réalisateur), L’Exorciste en 1973, The Sorcerer (ou Le Convoi de la peur, remake déjanté du Salaire de la peur de Henri-Georges Clouzot) en 1977, Cruising (version charcutée au montage à cause de la censure) en 1980, Police Fédérale, Los Angeles (1986), auquel on pourrait ajouter même Bug, en 2006, avec Michael Shannon en paranoïaque des blattes…
Formaliste, pointilleux, cultivé
Prenez PFLA : voilà un film où l’on assiste à une scène de rapports sexuels assez explicite pour l’époque et dans lequel le personnage principal meurt bien longtemps avant la fin. Étrange, non ? Il faudra quasiment attendre Les Inflitrés de Scorsese, en 2006, pour revoir ça : DiCaprio tombe tout d’un coup, flingué devant un ascenseur, trois quarts d’heure avant la fin. C’est contraire en théorie à toutes les lois du scénario hollywoodien. Très formaliste et pointilleux, cultivé, Friedkin accordait une place primordiale au travail sur le son.
Point commun entre “ses héros” : des personnages hantés, fascinés par le mal, par la transgression. Comme Friedkin l’était lui-même (il avait d’ailleurs interviewé Fritz Lang, grand cinéaste du mal, dans un documentaire tourné en 1974), avouant se sentir comme un chercheur, un spéléologue de l’âme humaine, de son côté obscur, noir. Si Friedkin est l’une des figures de ce qu’on a appelé bien plus tard le Nouvel Hollywood, il en est le penchant nihiliste, noir, grinçant, droitier, misanthropique, entre Don Siegel (le créateur de Dirty Harry) et Walter Hill (Les Guerriers de la nuit, Sans Retour, 48 heures, etc.). Il s’est longtemps dit favorable à la peine de mort après avoir été violemment contre, puis semblait avoir encore changé d’avis, en vieillissant, toujours rongé par le doute.
Son film ultime, The Caine Mutiny Court-Martial sera présenté en avant-première à la Mostra de Venise à la fin de ce mois.
{"type":"Banniere-Basse"}