En cavale depuis la diffusion d’un clip exhortant à s’en prendre aux forces de l’ordre, le rappeur tunisien Weld El 15 nous parle de son combat pour la liberté d’expression et menace de se « foutre le feu » si rien ne bouge.
Weld El 15 est en cavale. Chaque jour, il change d’habitation et de téléphone portable pour éviter de se faire repérer par les autorités tunisiennes. La faute de ce jeune rappeur, qui a débuté à quinze ans et s’est depuis imposé sur la scène locale : « Boulicia Kleb » (soit « les policiers sont des chiens »), un clip rageur de cinq minutes dans lequel il s’en prend aux méthodes abusives des flics tunisiens, qu’il verrait bien « égorgés à la place du mouton à l’Aïd ».
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Une semaine après la diffusion de la vidéo sur YouTube, dimanche 10 mars, le réalisateur Mohamed Hedi Belgueyed et l’actrice Sabrine Klibi sont arrêtés à leur domicile et placés en détention provisoire avec huit autre personnes impliquées dans la conception du clip. L’affaire s’emballe très vite : les réseaux sociaux prennent parti pour les auteurs de la vidéo ; le Ministère de l’Intérieur dénonce « des expressions et des gestes contraires à la morale, injurieux et menaçants envers les agents de la sécurité et les magistrats », tandis que Weld El 15 préfère prendre la fuite.
Le rappeur a accepté de nous parler de cette situation qu’il juge « incompréhensible », de son combat pour la liberté d’expression et les Droits de l’Homme, de la Tunisie d’après la révolution et de son appel à la France, à qui il réclame le statut de réfugié politique.
Quel est ton état d’esprit à cette heure-ci ?
Je me sens seul, au fond du trou. Le pire est que je ne comprends pas ce qui m’arrive ou ce qu’ils peuvent bien me reprocher. Je fais de la musique depuis tout gosse et j’avais des trucs dans la tête, des sujets qui me préoccupaient depuis quelques mois que j’ai simplement exprimés par la musique, comme je l’ai toujours fait. Ça sert à ça le rap non ? Quand chez vous NTM chante « Nique la Police », ça fait un buzz, les gens polémiquent, les flics se plaignent, mais personne ne vous menace. Ici ils sont devenus fous, je n’ai maintenant plus d’autres choix que de me cacher dans mon pays. Ils en sont arrivés au stade du harcèlement. Je reçois des messages de menaces sur ma page Facebook, des policiers qui me disent « si on te trouve on va te tabasser » ou « si on te capture vivant tu finiras mort ».
Dans quelles conditions ont été arrêtés tes proches, Mohamed Hedi Belgueyed et Sabrine Klibi ?
Hedi était le réalisateur de mon clip « Boulicia Kleb » (« Les policiers sont des chiens ») et Sabrine était l’actrice, une gamine de 22 ans. La police a débarqué chez eux dimanche 10 mars, vers quatre heures du matin. Ils n’avaient rien pour justifier l’arrestation, aucun papier, pas de mandat d’arrêt. Ils les ont emmenés à la prison de Mornaguia en attendant le procès. Le même soir ils ont posté des photos d’eux et de leurs affaires sur Facebook, avec leurs noms et leurs adresses. Normalement ils n’ont pas le droit de faire ça, c’est interdit. On ne sait toujours pas quand ils sortiront ou ce qu’ils risquent.
Comment expliques-tu cette réaction si violente du Ministère de l’Intérieur ?
Leur seule volonté c’est d’étouffer la jeunesse, de tuer les voix qui s’opposent à eux. Le rap c’est la jeunesse et la contestation, donc leur ennemi. Je ne parle même pas d’une menace islamiste, puisque ce ne sont pas des vrais musulmans, mais d’un gouvernement qui ne cherche que le pouvoir, de ces petits chefs qui veulent se placer. Ils tentent de manipuler la jeunesse mais ils devraient se souvenir de quelque chose : la révolution c’était nous, le 14 janvier (date de la démission de l’ancien président Ben Ali, ndlr) on était devant le Ministère et pas eux. Leur réaction à mon clip c’est juste une manière de détourner le peuple de la crise du pays, de montrer qu’ils ont un peu le contrôle. Ici les prix augmentent tous les jours, mais ils veulent nous aveugler avec ce genre d’affaire à la con.
Que te reprochent les autorités exactement ?
Dans le morceau « Boulicia Kleb », je dis que les flics sont des chiens, que si on me donne un flingue j’en bute un, ou que j’en égorgerais un comme un mouton à l’Aïd. Mais ce ne sont que des métaphores, j’exprime une colère, partagée ici par beaucoup de jeunes, contre certaines méthodes policières. Je n’ai jamais rien fait de mal, je n’ai pas été violent, mais je veux que la police respecte les jeunes. Si tu fumes du shit dans la rue, tu peux prendre jusqu’à un an de prison ferme. Si un flic t’arrête en Tunisie et que tu n’habites pas un quartier chic, ils insultent ta mère, ta famille. Il ne faut pas généraliser mais je vis ça au quotidien, et tout ce que je demandais dans « Boulicia Kleb » c’était du respect. Eux y ont vu une incitation à la violence contre la police, et me traitent maintenant comme un terroriste.
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=6owW_Jv5ng4
Regrettes-tu d’avoir employé certains termes dans ton morceau « Boulicia Kleb » ?
Pas une seule seconde. Au contraire, si je reste en Tunisie, je peux te dire que j’écrirais encore ce genre de chansons. On est à un moment où le pays méprise la liberté d’expression et les droits de l’Homme. Je me sens comme un terroriste chez moi, mais je n’ai pas peur. Ce que je souhaite, c’est d’être protégé par un pays étranger, j’aimerais obtenir le statut de réfugié politique par la France. S’ils ne relâchent pas Sabrina et Hedi, je suis même prêt à aller devant le Ministère pour me foutre le feu.
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