De la marge du cinéma indépendant ultra fauché au centre de la machine hollywoodienne, la carrière de Greta Gerwig dessine une trajectoire renversante et passionnante dans le paysage cinématographique américain. Retour sur sept dates-clés de la filmographie de l’actrice et réalisatrice qui a conquis Hollywood.
2007 – Hannah Takes the Stairs de Joe Swanberg
Avant d’être aux commandes de l’un des blockbusters les plus attendus de l’année, on découvre Greta Gerwig en 2007, dans le rôle principal d’Hannah Takes the Stairs. Elle devient alors la figure phare du mumblecore, ce courant du cinéma indépendant dont le nom vient du croisement entre mumble (marmonner) et core (noyau, cœur).
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Ces films, réalisés par Joe Swanberg, Andrew Bujalski, Mark et Jay Duplass, s’ancrent dans le quotidien le plus ordinaire pour suivre de jeunes protagonistes un peu paumé·es, âgé·es entre 20 et 30 ans, qui peinent à communiquer entre elleux. Donnant une large part à l’improvisation, cette mouvance s’inscrit dans la continuité du cinéma de John Cassavetes, tout en l’actualisant grâce à une légèreté et une fraicheur inédites.
Dans Hannah Takes the Stairs, Baghead (2008), Nights and Weekends (2008), Gerwig illumine les films par sa présence et son débit de paroles inimitable, qui en fait une sorte de Woody Allen au féminin. En multipliant les projets en un temps resserré et en participant à l’écriture et la réalisation de ces films, elle devient l’une des figures les plus prometteuses du cinéma indépendant américain.
2010 – Greenberg de Noah Baumbach
Avec Greenberg, la carrière de Greta Gerwig prend une nouvelle dimension. Réalisé par Noah Baumbach, alors figure montante du cinéma indé et scénariste des films de Wes Anderson, et porté par Ben Stiller, le film fait découvrir le talent de Gerwig à un public plus large et lui apporte une réelle consécration critique.
Alors que les Greenberg partent en vacances, ils laissent la clé de leur belle maison à la babysitter, Florence (Greta Gerwig), et à Roger, l’oncle dépressif new-yorkais (Ben Stiller). Gerwig incarne à la perfection cette jeune femme farfelue et charmante, complètement perdue dans ses relations amoureuses mais qui continue de cultiver un idéal romantique. Ces deux inadaptés vont alors nouer ensemble une relation marquée par leurs maladresses, dans un film qui multiplie les ruptures de tons en passant du comique le plus trivial et léger à une forme de gravité mélancolique émouvante.
2011 – Damsels in Distress de Whit Stillman
Après Baumbach, Gerwig tourne un an plus tard pour Whit Stillman, qui fait son grand retour au cinéma quinze ans après son film culte Les Derniers Jours du disco. Si Gerwig fait merveille dans ces comédies réalisées par des cinéastes new-yorkais, c’est qu’elle parvient à se mettre au service de l’intelligence et de la sophistication de l’écriture, tout en apportant une candeur émouvante qui déjoue l’ironie et le sarcasme.
Dans Damsels in Distress, elle interprète une jeune étudiante d’un campus américain entourée de sa bande d’amies. Le film aurait pu rapidement se transformer en parodie ou caricature du film de campus américain, mais toute la beauté du long métrage réside dans sa manière d’insuffler une élégance joyeuse qui le prémunit contre tout cynisme. Se dégage alors une joie candide de ce teen movie ponctué par de savoureux décalages burlesques savamment orchestrés par Gerwig.
2012 – Frances Ha de Noah Baumbach
Deux ans après Geenberg, Gerwig retrouve Baumbach (avec qui elle est partage sa vie) pour l’un de ses rôles les plus marquants. À nouveau, la beauté de Frances Ha tient beaucoup au talent de son interprète, dont la spontanéité dénote dans la sophistication formelle de la mise en scène. La simple présence de l’actrice permet d’éviter l’écueil de l’exercice cinéphile un peu poussiéreux dédié à la Nouvelle Vague française.
L’énergie de Gerwig électrise ainsi chaque séquence grâce à une vitalité jubilatoire et irrésistible, qui atteint son apogée dans une fameuse séquence rythmée par Modern Love de David Bowie, où l’actrice s’élance dans une course effrénée dans les rues de New York, à la manière de Denis Lavant dans Mauvais Sang.
2017 – Lady Bird de Greta Gerwig
Avec son premier film réalisé en solo, Gerwig s’empare du genre rebattu du teen movie initiatique en filmant les premières fois amicales, sentimentales et sexuelles de sa protagoniste de 17 ans, interprétée par Saoirse Ronan. La réalisatrice réussit avec brio à imposer son regard singulier et féministe en détournant les figures et passages obligés du genre.
De ce portrait tendre d’une ado un peu marginale, qui ne rêve que de quitter sa famille et son Sacramento natal, on devine la part autobiographique du film. Par ce mouvement rétrospectif qui chercherait à saisir le temps des premières fois, la cinéaste filme une époque qui n’est plus, une jeunesse perdue : d’où cette délicate nostalgie, propre aux meilleurs teen movies, qui finit par nous émouvoir l’air de rien.
Ce premier coup d’éclat lui vaudra une reconnaissance instantanée dans le paysage du cinéma américain : Saoirse Ronan remporte le Golden Globe de la meilleure actrice et le film celui de la meilleure comédie, tandis qu’il obtient cinq nominations aux Oscars les plus prestigieux (dont meilleure réalisation et meilleur film). À partir de là, les portes d’Hollywood semblent pleinement s’ouvrir pour Greta Gerwig.
2019 – Les Filles du docteur March de Greta Gerwig
Au diapason du mouvement #MeToo qui prend de l’ampleur depuis 2017 avec l’affaire Weinstein, le deuxième long métrage de Greta Gerwig semble affirmer que le cinéma hollywoodien doit à présent porter un nouveau regard et faire entendre une nouvelle voix.
Avec cette relecture féministe du roman de Louisa May Alcott, la cinéaste réunit les meilleures actrices de plusieurs générations (Saoirse Ronan, Emma Watson, Florence Pugh, Meryl Streep, Laura Dern) afin de célébrer la sororité et la création féminine.
Si le film est nommé dans cinq catégories aux Oscars de 2020, dont meilleur film et meilleure actrice pour Saoirse Ronan, Greta Gerwig n’est pas nommée pour le prix de la meilleure réalisation. Cette année-là, aucune femme n’est d’ailleurs nommée dans cette catégorie ; le propos de son film prend alors une actualité toute particulière.
2023 – Barbie de Greta Gerwig
Avec Barbie, Greta Gerwig se hisse au sommet de la machine hollywoodienne. En croisant l’univers de Barbie, la poupée de Mattel qui charrie avec elle tout un imaginaire sexiste, et le regard d’une cinéaste féministe, le film est, sur le papier, un projet assez excitant. Plus encore, la réalisatrice venue du cinéma indépendant pourrait pirater le système hollywoodien de l’intérieur (à l’heure où les produits aseptisés et sans âme s’enchaînent), en imposant un regard singulier un peu à la manière de Paul Verhoeven, George Miller ou Steven Spielberg avant elle.
Reste à savoir si le film porté par Margot Robbie et Ryan Gosling ne se limite pas à une campagne marketing de luxe et si Gerwig parvient à résoudre la contradiction apparente d’un film revendiqué comme féministe mais financé par Mattel. Selon nous, le pari n’est pas tout à fait gagné…
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