Ce 22 septembre les opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes se sont mobilisés pour empêcher la venue des forces de l’ordre et d’un juge des expropriations sur le site du projet contesté. Reportage.
La guérilla des images s’intensifie à Notre-Dame-des-Landes. Alors que le dialogue semble interrompu entre pouvoirs publics et opposants au projet d’aéroport, chacun s’évertue fébrilement à tenter de marquer des points dans la bataille de l’opinion. Le juge chargé de signifier leur expulsion aux locataires des trois maisons sur les 21 encore debout en a fait les frais ce 22 septembre au matin. Il a dû rebrousser chemin rapidement, non sans quelques tirs en cloche de fumigènes émanant des militaires qui l’accompagnaient. Ou de feux d’artifice côté zadistes. Pas question pour la grosse centaine d’insurgés postés au carrefour de La Saulce (à Vigneux-de-Bretagne) de laisser se déployer cette image de représentant de l’Etat maître de l’agenda.
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Une interview dans Ouest-France du nouveau sous-préfet en charge du dossier Notre-Dame-des-Landes a d’ailleurs suffi à remettre le feu aux poudres. Il y évoque la volonté affirmée par Manuel Valls de redémarrer le projet, gelé depuis trois ans, et de lancer les travaux après évacuation des occupants de la zone. « Il est certes libre de ses paroles mais il faut aussi qu’il prenne acte de notre capacité à mobiliser », remarque Cyril Bouligand de Copain 44, le collectif des paysans en lutte, qui avait posté une trentaine de tracteurs sur quatre points de blocage dont le carrefour des Ardillières.
Journalistes « gêneurs »
C’est là, sous une pluie glaciale, que sont cantonnés depuis 7 heures du matin les journalistes ce 22 septembre. Toute tentative d’évasion pour s’approcher au plus près de la réalité des confrontations entre occupants masqués et gendarmes mobiles peut d’ailleurs vite être sanctionnée : pneus crevés, coup de pied dans la caméra, assimilée au sensationnalisme du reportage façon M6.
Comme pour le pouvoir policier, qui n’hésite pas à brutaliser les journalistes dans les manifestations, pour les zadistes, un média qui sort du cadre est un danger potentiel. « N’oublie pas que journaliste, c’est un métier à risques », menace un individu affublé d’un hideux masque de sorcière. Un autre, à fort accent allemand, s’adressant à un petit groupe de preneurs d’images, s’arrache les cheveux : « Mais pourquoi vous ne nous laissez pas appliquer vis-à-vis de vous les décisions qu’on a mis tant de temps à prendre ensemble collectivement !? ».
Spécialité de la Zad, les débats internes au long cours ne connaissent pas la crise. Un cycle pour définir des limites et accords communs a convié 50 à 80 personnes, avec 25 heures de réunion en trois jours. « C’était passionnant, c’est dommage car nous avons dû nous consacrer prioritairement à la venue du juge », affirme un habitant de la Zad. Comme ils doivent apprendre à composer avec le monde médiatique, les squatteurs ont aussi été obligés de se mettre au diapason des exploitants, dont l’optique reste, même en s’éloignant le plus possible des canons productivistes, de valoriser les terres.
Fête des battages
Et c’est lors de moments de convergences comme la fête des Battages à la Ferme de Saint-Jean-du-Tertre, à l’ouest de la Zad, qu’on mesure à la fois son étendue (2000 hectares) et sa capacité à produire du lien et de la convivialité.
La Zad n’est pas que cet endroit sécessionniste objet d’étude de politologues. C’est aussi un lieu où on partage simplement des frites, des crêpes, des pâtes et du pain, produits grâce à un étonnant moulin. Plutôt qu’à engranger du blé, cette machine sert à fournir en ravitaillement les migrants squattant à Doulon à Nantes ou ceux de Calais. Elle permet de séparer le bon grain de l’ivraie. Mais pas au sens où l’entendait l’ex-député EELV François de Rugy, qui a toujours opposé zadistes « radicaux » et agriculteurs « responsables ».
Alors que ce sont pourtant ces deux cultures, ces deux mondes, qui, en s’appuyant sur les citoyens de l’Acipa et plus de 200 comités de soutien nationaux, ont su forger l’alliage ultra résistant capable de tordre le bras au monstrueux rouleau compresseur militaire de l’opération César en 2012. Car ici, où tout le monde est ostracisé sous le vocable « zadiste », l’homme qui venait d’ailleurs, c’est surtout le gendarme, « le bleu », en jargon local.
Les zadistes mettront leur grain de sel à la COP21
Cet intrus qui débarque par légions aux aurores et sans crier gare dans le bocage, engoncé dans son uniforme armure contrastant avec les foulards et les masques de bohème. Brusque rappel des rigueurs de la « civilisation ». Un jeune homme originaire du Nord de la France explique : « Au début, ma mère était inquiète pour moi mais depuis peu, maintenant qu’elle s’aperçoit que je suis heureux en m’inventant un autre avenir, elle souffle un peu plus car le couperet des contraintes matérielles de sa vie lui pèse à elle même un peu moins ».
Les opposants au projet d’aéroport iront eux aussi agiter une épée de Damoclès cet hiver au-dessus de la COP21, avec une convergence à pieds, en vélos et en tracteurs vers la grand messe environnementale parisienne prévue du 30 novembre au 11 décembre 2015. « Et si jamais la police revient sur la Zad, nous avons lancé un appel dans toute la France pour des manifestations, actions de blocage, d’occupation, de sabotage », prévient un habitant de la Zad croisé devant le palais de Justice de Nantes.
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