Ils ont toujours les crocs. Cinq ans après leur premier album, les Américains Vampire Weekend clôturent leur “trilogie accidentelle” avec l’aventureux Modern Vampires of the City. Critique et écoute.
On aura, depuis une poignée d’années, côtoyé beaucoup de vampires : ceux de la saga américano-mormone Twilight ; ceux, plus trash, de la série True Blood ; la clique de la sitcom Vampire Diaries, et un gang de New York, Vampire Weekend. Quatre garçons découverts en 2007 grâce à un titre éclatant, Cape Cod Kwassa Kwassa, que l’on songe encore à prescrire en guise de luminothérapie d’hiver. Si à l’époque le groupe formé sur les bancs de l’université de Columbia sortait à peine du nid, il n’en avait pas moins déjà les idées larges. Fraîchement diplômés, les complices aux têtes de gendres idéaux tissaient une pop rêvée à Johannesburg, Lagos et Bamako. Des sons chauds et organiques édifiés comme bande originale de Gossip Girl : c’était la recette irrésistible de ce morceau et de ses successeurs (A-Punk, Oxford Comma), tous réunis dans un premier album malin, au potentiel de contagion remarquable.
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Plus qu’un simple disque, Vampire Weekend ouvrait aussi une nouvelle ère : celle où le rock crado, les Converse élimées et la rébellion érigée en étendard pouvaient aller se rhabiller – en polo et chemisette s’il vous plaît. Le quatuor tranchait avec l’ambiance “retour du rock” du début des années 2000, attitude confirmée par leur second album en 2010. Si l’on trouvait dans Contra le même lien de filiation à Paul Simon, le disque se voulait déjà une déclaration d’intention. Sans renier ses influences évidentes, Vampire Weekend refusait alors de se poser en ambassadeur de l’Afrique à Manhattan, et conviait avec beaucoup d’excentricité auto-tune et touche hip-hop.
Un pas en avant que les garçons voient aujourd’hui comme un départ nécessaire pour réaliser leur troisième album. “Cet album nous a permis de tenter des choses que l’on n’avait pas encore faites, et pour cette raison Contra a en quelque sorte pavé le chemin qui nous a menés à Modern Vampires of the City. Nos albums sont tous très connectés, un peu comme plusieurs étapes d’un voyage”, explique le chanteur et guitariste Ezra Koenig.
Un voyage : le terme est on ne peut mieux choisi puisque Modern Vampires of the City se pose comme la destination finale d’un road-trip entamé cinq ans plus tôt avec le premier album de jeunes étudiants que l’on retrouve aujourd’hui à l’âge adulte. “Le premier album est gai, naïf. Il raconte un temps où on était encore à l’école. Ensuite, Contra parle d’explorer le monde, de grandir, de se libérer, et le dernier, c’est le retour plein de doutes à la maison. Je vois ça comme une trilogie accidentelle”, confie Koenig.
Porté par une volonté farouche du groupe de ne pas se répéter, Modern Vampires of the City voit les quatre garçons mettre en musique leur trentaine approchante. On y entend leurs tâtonnements, les leçons tirées de ruptures, leurs espoirs et surtout un besoin d’expérimentations propre à cette étape de la vie où l’on sait un peu mieux qui l’on est, mais pas tout à fait où l’on va. En ressort un album aventureux où Vampire Weekend prend sans cesse des risques, comme celui, inconscient sur le papier, de recruter Ariel Rechtshaid, producteur de groupes pas franchement connus pour faire dans la dentelle (Usher, Major Lazer), qui permettra pourtant la naissance de titres comme les poignants Obvious Bicycle et Everlasting Arms.
Modern Vampires of the City est le fruit de tentatives et associations heureuses et malheureuses. On se laisse surprendre par la parfaite BO de film d’angoisse Hudson, séduire par la ballade dépouillée Hannah Hunt. On reste à l’inverse perplexe devant la production béton et la déconstruite Diane Young, potentielle bombe rock sans queue ni tête où Koenig se prend pour un hybride d’Elvis et George Michael circa Wake Me up Before You Go-Go. On frôle la crise de rire à l’écoute des cris de Snorky de Worship You et la chute tordante de la pourtant très belle Step.
“J’ai beaucoup dit que ce disque était sombre et organique. Puis des gamins sur Twitter m’ont dit : ‘sombre et organique comme du chocolat noir ?’ Je crois que c’est une meilleure façon de décrire cet album. Modern Vampires… n’est pas une sorte de chocolat sans sucre, c’est du chocolat noir amer qui est aussi bon que n’importe quel autre chocolat”, rigole Ezra. On poussera la métaphore plus loin : “La vie, c’est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber”, et Vampire Weekend a décidé de tous les goûter.
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