Deux concerts sublimes et agités des réformateurs américains.
Ce journal n’est pas encore né quand, sur la scène de l’Haçienda de Manchester, deux de ses journalistes en bourgeon voient le futur du rock américain. Il sera hirsute, halluciné, rural et white-trash, ancré dans la tradition par une chaîne rouillée qui ne demande qu’à rompre sous les coups de boutoir d’un punk-rock pas du tout calmé par son retour à la terre. Sur la scène de l’Haçienda, en cet été 1984, c’est donc le prototype d’un certain rock américain – de Pavement à Palace, des Pixies à la lo-fi – que l’on découvre, émerveillé. Sur scène ? Pas vraiment : c’est dans la salle même que démarre, en fanfare possédée, en marche psychiatrique, l’un de ces deux concerts d’anthologie, filmés avec les pieds dans la pénombre. “Nous sommes venus pour baiser vos femmes”, gueulent ces hobos déglingués. Et l’Haçienda, pourtant habituée aux frasques de ses trublions anglais, rase les murs. Car là, pas une once de chiqué, pas une seconde de provo gratuite : les Violent Femmes incarnent trop leur musique, bave aux lèvres et regards cinglés, pour qu’on doute de la sincérité inquiétante de ces chansons où le diable conduit d’une main une Cadillac vintage.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pour une génération entière, élevée aux guitares anglaises ou au rock urbain de New York, ce sera le point de départ d’un fascinant voyage dans les chemins de traverse les plus broussailleux et menaçants de l’Amérique profonde, une terra incognita qu’on ignorait alors, mais où l’on croisera vite d’autres héros en devenir, de They Might Be Giants à R.E.M., du folk à la country. Remercions donc les Violent Femmes, aujourd’hui tiraillés de procès en rancœurs, pour avoir ouvert en grand ces portes d’un monde rural et psy, avec ces chansons possédées, agitées, sublimes – Blister in the Sun, Gone Daddy Gone, Gimme the Car ou Add It up sont de ces fêtes sauvages, euphorisantes et dérangeantes que restent ces concerts primitifs. Arcade Fire ou Gnarls Barkley, deux des groupes qui ont récemment repris une chanson des hommes de Gordon Gano, peuvent en témoigner.
{"type":"Banniere-Basse"}