Céline Sallette incarne la journaliste Inès Léraud dans un film qui nous alerte autant sur le scandale environnemental que sur la dérive formatée de l’industrie de l’adaptation journalistique.
Il est de plus en plus courant, pour les maisons d’édition d’essais et d’enquêtes, d’optimiser le volume d’adaptations à l’écran de leurs publications, que ce soit en documentaires télévisés, ou, quand cela s’y prête, en fiction. Un portage qui n’est certes pas nouveau en soi, mais qui se systématise, et prend une place parfois prépondérante dans les modèles économiques du secteur. Le résultat est une prolifération au cinéma non pas d’algues vertes, mais d’Algues vertes, c’est-à-dire de téléfilms à sujet.
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Tiré d’un livre (Algues vertes, l’histoire interdite, Inès Léraud, Delcourt) lui-même inspiré d’une série de chroniques radio, et adapté par sa propre autrice (qui en profite pour s’envoyer pas mal de roses : une scène sur deux montre un autochtone la félicitant pour son incroyable boulot) pour le cinéma, Les Algues vertes raconte la lutte d’une journaliste de Radio France pour faire éclater la vérité sur le danger des émanations d’algues vertes et la responsabilité de l’industrie porcine dans ce scandale. Le film ressemble à un cas d’école de ce phénomène, qui a évidemment une fâcheuse tendance à donner des œuvres épouvantablement didactiques, totalement décomplexées dans l’abus d’un certain pathos cheap de TNT d’après-midi, dépourvues évidemment de la moindre inspiration de mise en scène. Tout cela au prétexte d’un sujet de société et d’une mission d’information qui ont bon dos, et qui, surtout, insultent un peu le cinéma.
Un échouage de poncifs
On reconnaît en fait ici tous les motifs de cette vague de films-dossiers de plus en plus standardisés : le déchirant couple de victimes bourrues et taiseuses rencontré autour d’un petit déjeuner sur toile cirée, l’amoncellement de polycopiés sur le bureau de l’enquêtrice dont l’obsession commence à accélérer le débit de parole et à inquiéter la conjointe (“hey… tu veux pas te reposer un peu…”), la langue de bois du politicien véreux, le supérieur qui lâche sous la pression des lobbies et s’énerve au téléphone (“putain Inès, c’est comme ça, passe à autre chose !”)… On sent dans cette accumulation de tropes prémâchés une forme d’insouciance de la médiocrité, une impunité à verser dans le formatage le plus tarte. Une manière de jouer à la fiction de cinéma comme on jouerait à la dînette, en se satisfaisant d’un strict minimum de professionnalisme, pour plaquer le bouquin au forceps sur un colifichet de scènes de néo-soap à sujet débordantes de clichés (exemple : peut-on arrêter de filmer la province comme si tout le monde s’y habillait en vieux pull mité et buvait son café dans des bols ?). Et au bout du compte, quand les interprètes ont récité leur texte sans bafouiller, se dire : “ça suffit, c’est parfait comme ça”.
Or ça ne l’est que pour l’idée dégradante que le film se fait des publics scolaires (très étonnante date de sortie en pleines vacances d’été) ou des séances-débat en exploitation locale (le film est évidemment très accompagné en Bretagne Nord) : l’idée que le cinéma est un moyen, un support de pédagogie (un peu comme la bande dessinée, comparablement dévoyée ces derniers temps par l’édition journalistique), un artisanat aux formes reproductibles, à peine un art.
Les Algues vertes de Pierre Jolivet. Avec Céline Sallette. En salle le 12 juillet 2023.
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