Le secrétaire national du PCF a laissé entendre qu’il préférerait soutenir la candidature de Jean-Luc Mélenchon plutôt qu’une candidature communiste indépendante. Mais l’incertitude demeure sur son choix final, comme nous l’explique l’historien du communisme Roger Martelli, directeur de la revue Regards.
A la veille de la conférence nationale du PCF, son secrétaire national Pierre Laurent a déclaré que le choix d’une candidature communiste indépendante n’était pas celui qu’il privilégiait, impliquant donc qu’il préférerait soutenir la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Pourquoi fait-il ce choix ?
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Roger Martelli – Il fait un pas en direction de Jean-Luc Mélenchon, certes. Mais relativisons tout de même la portée de cette déclaration car quelle que soit l’option retenue par la conférence nationale – soutien à Mélenchon ou candidature communiste –, la décision du PCF pourrait être remise en cause après le résultat de la primaire socialiste. Selon la formule qu’utilise la direction du PCF, si Arnaud Montebourg gagnait la primaire, cela rebattrait complètement les cartes. Pierre Laurent n’exclut pas totalement la possibilité d’un accord avec Montebourg s’il sortait du chapeau du PS. Ce n’est pas sans importance. Le PCF est cependant obligé de se prononcer maintenant, car d’ici janvier d’autres personnalités vont s’installer dans le paysage politique.
Dans tous les cas, l’hypothèse d’une candidature communiste indépendante semble lui faire peur…
Pierre Laurent considère qu’une candidature communiste serait calamiteuse, comme l’ont été les candidatures communistes en 2002 et en 2007. Il ne veut pas courir le risque d’un nouveau camouflet électoral à la présidentielle, sachant qu’en plus, les législatives vont être redoutables. Il fait donc un pas en direction de Jean-Luc Mélenchon, d’autant plus qu’au sein du parti, des personnalités de poids se sont prononcées en sa faveur, comme Marie-George Buffet, mais aussi Sébastien Jumel (maire de Dieppe), Stéphane Peu (maire-adjoint de Saint-Denis) ou encore Patrice Leclerc (maire de Gennevilliers), qui a dit qu’il ne voyait pas d’autres solutions. Pierre Laurent est obligé de tenir compte de ce cas de figure. Il ne veut pas courir le risque d’une candidature communiste à la présidentielle. Mais pour l’instant il n’écarte pas définitivement la carte Montebourg.
Les adhérents communistes doivent se prononcer en décembre. A-t-on des indications sur leur sentiment par rapport à la candidature de Jean-Luc Mélenchon ?
Rien ne permet de le dire, mais il semblerait que dans la dernière période, l’hypothèse d’un soutien à Jean-Luc Mélenchon ait plutôt marqué des points à l’intérieur du parti. Mes informations ne sont cependant pas suffisamment fiables pour le déterminer.
Entre Jean-Luc Mélenchon et Arnaud Montebourg, il y a de grandes différences, ne serait-ce que de parti. Comment expliquez-vous cette hésitation du PCF ?
Je ne me l’explique pas. D’un côté on a un Jean-Luc Mélenchon qui est depuis des années de tous les combats sociaux, anti-libéraux, contre le TCE, qui a porté les couleurs du Front de gauche (FDG), et qui s’est trouvé dans le camp d’une gauche alternative. Et de l’autre, on a un Arnaud Montebourg qui a soutenu Ségolène Royal, qui a préféré François Hollande à Martine Aubry en 2011 et qui a tout fait pour que Manuel Valls arrive à Matignon.
Pierre Laurent est obsédé par les législatives. Il pense donc qu’il va avoir besoin d’un électorat socialiste pour maintenir un groupe communiste qui a été réduit de manière sensible dans la dernière période – il ne reste que 11 députés communistes, contre 16 dans la législature précédente, avant 2012 [ces députés sont membres du groupe « Gauche démocrate et républicaine », qui comprend 15 députés en tout depuis 2012, ndlr]. Sans doute considère-t-il qu’en faisant un pas en direction de Montebourg, il s’assure un rassemblement en faveur des candidats communistes. Je pense que c’est un calcul hasardeux, d’autant plus que dans beaucoup de circonscriptions ce sont des députés réputés frondeurs ou « gauche socialiste », qui ont disputé et même ravi le siège communiste.
Pensez-vous que la gauche anti-libérale est en position de disputer sérieusement l’hégémonie du PS à gauche ?
Pour l’instant, d’après les sondages, Jean-Luc Mélenchon est en passe de doubler le candidat socialiste. Selon toute vraisemblance, si Montebourg l’emportait à la primaire du PS, il y aurait aussi une candidature porteuse de la logique sociale-libérale – je pense à la figure montante d’Emmanuel Macron. Or dans cette configuration, Arnaud Montebourg n’atteint pas la barre des 10%, Emmanuel Macron se positionne comme celui qui représente la gauche gouvernementale, et la seule option véritablement crédible à gauche est celle de Jean-Luc Mélenchon. C’est pourquoi je considère que le calcul hypothétique de Pierre Laurent est hasardeux.
Le PCF ne se discrédite-t-il pas en maintenant l’incertitude et en louvoyant à une date aussi avancée par rapport à l’élection ?
En hésitant de la sorte, il abandonne le terrain à d’autres. Je pense que c’est un calcul perdant à court-terme – c’est-à-dire pour les législatives – et même à long terme. Selon toute vraisemblance la période post-électorale va être l’occasion d’un profond remaniement dans l’ensemble du système politique, et plus particulièrement à l’intérieur de la gauche. Cette attente, frileuse, hésitante, et ce manque de détermination du PCF dans la définition des objectifs de transformation sociale dont le pays a besoin, ne peuvent être que pénalisants pour la mouvance communiste.
Pierre Laurent a prévenu qu’il n’était pas question de « diluer » le PCF dans la France Insoumise, le mouvement créé par Jean-Luc Mélenchon. Dans quel cadre unitaire pourrait avoir lieu la campagne si le PCF décidait de le soutenir ?
La réponse est du côté de Jean-Luc Mélenchon et du PCF. Pour l’instant il existe un cadre, la France Insoumise, constitué autour de la déclaration de candidature de Jean-Luc Mélenchon. Un certain nombre de forces qui ne se réclament pas de la France Insoumise ont cependant déjà affirmé leur soutien à Jean-Luc Mélenchon. Le plus raisonnable serait qu’entre la dynamique de la France Insoumise – qui ne s’arrêtera pas – et ceux qui vont appeler à soutenir Mélenchon, on puisse contribuer dans la diversité à la dynamique d’une campagne commune, pour retrouver quelque chose de l’élan de 2012. Le Front de gauche a vécu, certes, mais l’esprit de convergence qu’il a manifesté reste là, et mérite d’être cultivé. Dès l’instant où les choix seront faits clairement en faveur de Jean-Luc Mélenchon, je ne vois pas comment la raison ne l’emporterait pas, et comment un cadre de travail commun ne serait pas être trouvé.
Y a-t-il un risque de scission au sein du PCF entre les soutiens à Jean-Luc Mélenchon et ceux qui préféreraient une candidature indépendante ?
Le PCF apparaît profondément divisé, plus qu’il ne l’était en 2006-2007 à l’époque des collectifs anti-libéraux. Selon toute vraisemblance cette division aura des conséquences, mais lesquelles ? Difficile de le dire, d’autant plus la décision n’est pas prise, et que la primaire n’est pas passée. Le PC reste une force partisane conséquente dans l’espace de la gauche, mais il est affaibli dans son tissu militant – il dispose selon les derniers chiffres de 60 000 cotisants et de 40 000 votants aux consultations internes –, et dans ses positions électorales nationales et locales. Dans ce contexte, le PCF se cherche et se divise sur une question centrale dans l’avenir de la vie politique des prochaines années. L’incertitude demeurera jusqu’au mois de janvier.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
Roger Martelli a récemment publié L’Identité, c’est la guerre (éd. LLL).
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