Avec l’album Coexist, qui fait danser le spleen et rend joyeuse la mélancolie, The xx signe un des trésors de 2012. Et si ce trio post-ado surdoué réussissait en France une carrière à la Cure ou à la Portishead ? Critique et écoute.
Assis dans une des petites loges rouges du festival La Route du rock à Saint-Malo, Oliver Sim, chanteur et bassiste de The xx, dégaine de mannequin Burberry, savoure. Il est une heure du matin, la longue journée touche à sa fin. Après un concert, la veille, dans un énorme festival hongrois, et des galères d’avion qui ont donné des sueurs froides aux organisateurs français, le trio londonien vient de sortir de scène et est enfin en vacances. Cinq jours de break – une éternité aux yeux d’Oliver : “Je vais apprécier chaque instant, dit-il avec un large sourire. Je rentre à Londres dès demain matin avec Jamie. On a tellement voyagé ces dernières semaines que même Londres me semble exotique à l’heure qu’il est !”
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Romy, troisième acolyte, a choisi de rester un jour de plus à Saint-Malo pour assister au live des Chromatics, groupe de Portland qu’ils adorent tous les trois. “La production de Johnny Jewel est dingue, continue Oliver. On est totalement fans de tout ce que sort le label Italians Do It Better : on écoute toujours un titre produit par Johnny Jewel avant de monter sur scène.” Un grand merci donc à mister Jewel pour les good vibrations. Car le concert de The xx à La Route du rock, un des premiers de la tournée montée pour leur tout récent Coexist, était somptueux. Pendant une heure de haute volée, mêlant tubes maison repris en choeur par le public et morceaux inédits plus dance-floor, difficile de reconnaître les adolescents joufflus qui jouaient timidement, dos à dos, les chansons de xx, leur premier album sorti en 2009.
Dès le début du concert et les accords initiaux d’Angels, extrait, en apesanteur, de Coexist, on savait que les xx n’étaient plus tout à fait les mêmes. Il fallait voir la chanteuse Romy Madley Croft, regard déterminé, solidement campée sur ses appuis, tenir, du seul souffle de sa voix, la foule, compacte et électrisée. Deviner, dans la lumière bleutée, les mouvements sensuels d’Oliver, qui échangeait des regards complices avec les premiers rangs. Ou encore partager le plaisir manifeste que prenait Jamie xx à balancer des beats house et à faire se lever des centaines de bras en l’air en seconde partie de concert.
“Je crois qu’on a vraiment appris à aimer la scène, explique Romy, qui nous a rejoints, vêtue de noir comme à son habitude. On était tellement timides ! À nos débuts, nous osions à peine chuchoter les paroles de nos chansons. Si trois personnes écoutaient, c’était déjà beau !” Oliver précise : “Par le passé, nous devions vraiment nous concentrer sur notre jeu et nos instruments. Maintenant, nous pouvons nous en détacher et nous lâcher. La scénographie nous y aide beaucoup.”
Le minimalisme scénique des débuts a fait son temps. Des projections, hypnotiques et psychédéliques, des jeux de lumière et de fumée créent une ambiance intimiste et éthérée. Symbole du groupe, le “x”, autrefois scotché sur un drap blanc tendu en arrière-plan, surplombe à présent la scène, énorme et translucide. “Depuis le début, nous recherchons une continuité visuelle – dans nos vidéos, nos pochettes, nos lives, notre merchandising, explique Oliver. Nous avons choisi notre nom avant tout pour ses qualités graphiques.”
Depuis le début, 2005 donc. Le groupe vient de se former sur les bancs de l’Elliott School, école londonienne ouverte à l’enseignement des arts, qui a vu défiler Hot Chip, Four Tet, Burial. Précoce, leur formation repose déjà sur une longue histoire amicale. Oliver et Romy se connaissent depuis l’âge de 2 ans. “Elle est comme une soeur, préciset- il. Je n’ai jamais été séparé d’elle plus de trois semaines d’affilée.”
À 11 ans, Jamie devient leur meilleur ami. Xx comme ecstasy ? Sexe ? Génération X ? Anonyme ? En 2009, dès la sortie de leur premier album, beaucoup se seront échinés à trouver un sens à ce logo à la perfection gémellaire – comme s’il fallait rationaliser ce qui échappait alors à l’entendement, à savoir : comment, à 19 ans, ont-ils pu, avec leurs petites chansons intimistes, jouées à deux doigts, prendre la pop anglaise à revers et produire un disque aussi puissant ? Comment quatre gamins (la guitariste Baria Qureshi a quitté le groupe fin 2009), à peine pubères, au look corbeau-emo, ont-ils pu chanter les plus beaux fragments de discours amoureux entendus depuis des lustres ?
Car la grande affaire de ce xx, aucun doute, c’était l’amour. Le vrai, le grand, avec ce qu’il peut avoir de sublime mais aussi de terrifiant, de destructeur, paralysant. Celui qui engage l’être tout entier, peut donner des sueurs froides et la sensation d’étouffer. On se souvient du titre Crystalised, petit chef-d’oeuvre de pop stendhalienne sur lequel la narratrice demande à son amant de ne pas venir trop près, de respecter la distance nécessaire à leur possible rapprochement. “Go slow”, lui répètet- elle comme un mantra érotique.
“Nous écrivons sur ce que nous vivons. Ce ne sont jamais les bouquins ou les films qui m’inspirent, explique Romy. Toujours les gens, mes amis, les situations autour de moi.” Oliver renchérit, avec humour : “Je n’avais pas accumulé beaucoup d’expérience en la matière du temps du premier album. J’avais 15 ans quand j’ai commencé à écrire ces chansons. Je m’inspirais de mes proches, en me demandant ce que je ferais quand ça m’arriverait. Aujourd’hui, mes chansons sont davantage comme un journal intime.”
Du fantasme à l’expérience, de la rêverie à l’épreuve de la chair, de l’adolescence à l’âge adulte : tel est le fossé qui sépare, à tous points de vue, xx de son successeur Coexist. Les trois amis ont grandi et pris des apparts à Londres. “J’aime rester chez moi, confie Romy. Je ne sors pas tellement, je n’ai pas une vie de star.” Le groupe a beaucoup voyagé et pris conscience du monde qui l’entoure : “On a vécu des trucs dingues, raconte Oliver, rencontré énormément de gens, comme Courtney Love. C’était irréel de dire ‘hello’ à des gens dont on avait le poster dans notre chambre !”
Des expériences qui nourrissent Coexist, disque réalisé à leur rythme : “On n’avait pas de deadline, poursuit Romy. Le label nous a fait confiance. C’était si bon d’avoir du temps libre ! Finalement, nous avons écrit les chansons plus tôt que prévu, dès la fin de la tournée.” Pour les enregistrer, le trio s’est enfermé quinze heures par jour dans son studio du quartier d’Angel, à l’est de Londres – un grand duplex qui abritait auparavant un studio photo. À l’étage, la salle d’enregistrement : une petite pièce très “xx”, tapissée de velours noir et éclairée de bougies. En bas, plus classique, la pièce à vivre, dans laquelle Oliver et Romy ont écrit une grande partie des chansons.
Une petite révolution pour le duo. D’ordinaire, chacun écrivait ses paroles dans sa chambre, les envoyait par mail à l’autre, et chantait ensuite sur scène les paroles qu’il avait écrites, les chansons juxtaposant les points de vue. “Nous travaillions comme deux artistes solo, résume Romy. Cette fois, nous nous sommes enfermés tous les deux dans une pièce avec des feuilles blanches. C’était comme abattre un mur entre nous.”
Certaines chansons ont ainsi été écrites très vite, comme Chained, un des moments forts du disque. “La mise en forme du texte s’est faite presque intuitivement, poursuit Oliver. Jamie a ensuite achevé la chanson avec nous. Travailler ainsi m’a vraiment donné la sensation de faire partie d’un groupe.” Beaucoup plus animé rythmiquement que ne l’était xx, le disque laisse poindre de nouvelles influences house. “Nous avons découvert que nous aimions danser, explique Romy. L’influence était déjà présente sur le premier album, mais plus subtilement que sur celui-ci. J’ai pas mal fait le DJ, traîné dans les clubs et découvert toute une nouvelle culture. Jamie nous a aussi fait écouter beaucoup de choses.”
Chercheur fou de nouveaux sons, le troisième membre de The xx a mis à profit son temps libre pour se laisser aller à sa boulimie musicale. Il a notamment réalisé trois pèlerinages à la Mecque de la house, Chicago, où il a écumé les magasins de disques. “Les influences house et techno ressurgissent très fort depuis quelque temps en Angleterre, explique le génial jeune producteur. Jusqu’à présent, la dance-music était dominée par le dubstep, ce n’était pas très dansant. C’était également très masculin. Tout change, en ce moment, c’est très excitant.”
Jamie a également multiplié les collaborations. On se souvient de We’re New Here, son magnifique remix de l’album I’m New Here de Gil Scott-Heron. Il a ensuite travaillé avec le rappeur Drake, fan de ses productions. “Un mec super, normal, qui n’a pas la grosse tête, confie Jamie. Il écoute beaucoup de musique anglaise et se demande comment rénover la pop américaine. Je pense qu’on rebossera ensemble. J’ai beaucoup appris.”
Du haut de ses 23 ans, Jamie est la grande révélation de l’album. Son influence, son talent sont palpables dans chaque arrangement, chaque repli du disque, même si celui-ci a vraiment été conçu à trois : “Quand on bosse ensemble, explique-t-il, on n’y va pas par quatre chemins. C’est très franc et brutal. De cette façon, on parvient vraiment à créer quelque chose qui nous ressemble.” Il avoue qu’une de leurs priorités était de parvenir à préserver cette sensation d’espace, très présente dans leurs chansons. “L’espace s’est installé très naturellement dans notre musique. Ça vient de notre pratique scénique : en live, nous n’utilisons jamais de pistes enregistrées, nous voulons tout jouer, que ça sonne réel. Nous avons enregistré de la même façon.”
Frontal et d’une profondeur sonore époustouflante, Coexist fait franchir un pas de géant au trio anglais. Construit comme une longue journée, il débute aux premières lueurs du jour avec Angels, titre le plus évidemment en filiation avec le premier album. Les corps se mettent en mouvement avec la dubstep Chained et s’affolent au son des steel drums de la vertigineuse Reunion, qui chante la lente dissolution du sentiment amoureux. Le disque bascule ensuite dans la nuit et la house avec Tides ou Swept away. Planante, la mélancolique Our Song clôt l’album, laissant l’auditeur béat devant tant d’audace, de clairvoyance, de liberté. “Dans nos chansons, il n’y a pas de noms de villes, de lieux, d’il ou elle, conclut Romy. J’aime penser qu’on fait de la musique dans laquelle on peut s’échapper.” Jamais la fuite n’avait été aussi belle.
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