Les événements de ces derniers jours n’ont pas été avares d’analogies cinéphiles qui en disent moins long sur les faits que sur celles et ceux qui les expriment.
Au sein d’un arc courant de l’extrême droite pur beurre jusqu’à un centre extrême droitisant et pas toujours conscient de l’être (donc de Laure Lavalette et Jean Messiha à Eric Naulleau et Caroline Fourest, pour le dire vite), on aime ces derniers jours parler de cinéma, entre deux considérations à l’emporte-pièce sur l’autorité parentale en banlieue. Reste à voir de quelle manière, à propos de quels films, et avec quels paradoxes.
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Il faut d’abord mesurer le statut acquis par BAC Nord dans la fantasmatique néo-fasciste : une sorte de Don’t Look Up d’extrême droite (l’analogie n’est pas de nous) brandi à tout bout de champ par un milieu pro-répressif qui tend de plus en plus à considérer le film de Cédric Jimenez comme un documentaire. L’embrasement du pays (et l’incarcération du policier auteur du tir, assimilée à la deuxième partie du film) sanctionnerait pour de bon ce raccourci fallacieux, popularisé par Zemmour durant sa campagne et encore repris il y a quelques jours par l’icône montante du RN Laure Lavalette. Le parallèle est accablant d’incohérences : qu’est-ce qui rapproche une banlieue militarisée, autarcique, intégralement inféodée au trafic et donc plutôt rétive au chaos, et la réalité de ces derniers jours, mélange d’émeutes dispersées, de destructions matérielles, de petite délinquance opportuniste et de revendications politiques ? Le problème du film de Jimenez n’a, en réalité, jamais été son degré de réalisme, mais son outrancière exultation virile, armurière et vidéoludique. Celles et ceux qui s’aveuglent dans le rapprochement sont sans doute trop émoustillé·es pour réaliser que ces deux images n’ont en commun que l’excitation qu’elles leur procurent.
Émeutes urbaines
Une position plus équivoque se cherche du côté des citations de films d’émeutes urbaines, notamment deux qui partagent de troublantes similitudes avec les événements récents et leur cause : Les Misérables de Ladj Ly et Athena de Romain Gavras. Deux films qui font partir leur incendie d’une violence policière (un homicide pour le second), n’en demeurent pas moins très différents (le premier s’applique à décrire les structures parallèles d’autorité dans les quartiers, le second projette les émeutes dans un imaginaire de shonen), et auxquels on veut faire jouer un rôle contradictoire : inspiration fantasmatique des émeutiers ou signal d’alerte sur l’état bien réel des tensions ? Allié ou ennemi ? Il faudrait savoir.
Tous ces films n’ont qu’en commun un rêve de guerre civile, qui tendrait à rejoindre la réalité récente, mais s’en désintéresse fondamentalement pour lui substituer la matérialisation d’un fantasme de violence urbaine, justifiant des deux côtés de l’écran une répression militarisée. Qu’est-ce que tout cela a à voir avec la réalité ? Quelque chose, sans doute, mais moins qu’un quatrième film auquel nous avons plus volontiers pensé : France de Bruno Dumont. Un pastiche délirant de la dictature des chaînes d’info, qui n’a pas tant regardé le pays lui-même que sa société du spectacle, écervelée, avide de sang, déchaussée d’un réel qu’elle ne sait qu’événementialiser sans plus jamais le regarder. Contrairement aux trois films cités plus haut, France est surtout le seul à avoir non pas exacerbé, mais sous-estimé son sujet, puisque le réel a – d’une certaine manière – déjà doublé par la droite la bouffonnerie dumontienne. N’aurait-on pas accusé le film d’exagérer s’il avait montré un chroniqueur star collectant un million d’euros pour un policier accusé de meurtre ?
Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 5 juillet. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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