Il y a moins d’un mois, nous réalisions un entretien avec Fabrice Arfi, journaliste d’investigation à Mediapart, pour notre enquête sur le site d’Edwy Plenel (à lire dans les Inrocks n° 903, en kiosque aujourd’hui). Il expliquait alors son étonnement devant les réactions des confrères à chacune des révélations du site d’information.
Mediapart se fait un peu chahuter en ce moment avec l’affaire Cahuzac…
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Oui, on est dans un tel combat d’opinion que si on sort un truc, on doit désormais taper haut. Le rapport de la profession à l’affaire Cahuzac est quand même étrange. Un papier de l’Express a quand même indiqué, après la non-info sur la Suisse, (se référant à l’article du JDD « Les Suisses blanchissent Cahuzac ») : « Mediapart n’a toujours pas réagi« … On n’est pas un adversaire politique. Nous, on informe. C’est vraiment surprenant la façon dont nous traitent les confrères.
Perçois-tu une sorte « d’attente au tournant » de la part des autres médias ?
Tout le monde nous dit : « vous nous faites chier depuis cinq ans, vous êtes de grands donneurs de leçons« . C’est très juste de dire que dans la plupart des affaires qu’on a révélées, il y a une sorte de stratégie, une stratégie de l’isolement de Mediapart auprès de l’opinion et des autres médias.
La contrepartie positive demeure quand même l’afflux de lecteurs à chaque révélation.
On nous fait passer pour des excités et non pas des journalistes. Si c’est ce qu’il faut pour gagner des lecteurs… En effet oui, on aime bien avoir des lecteurs, c’est extrêmement pervers ça, non ? Et oui, on feuilletonne. On est une petite barque et on s’attaque à un État, à des services, alors oui, il faut être malin parfois. Si tu fais le bilan des courses, ça ne nous a pas desservi.
Tu penses aux révélations en deux temps sur Cahuzac, la publication de l’enregistrement le lendemain de ton premier papier ?
Sur Cahuzac, pour mon premier papier (publié le 4 décembre), je n’avais pas encore l’autorisation de ma source pour publier l’enregistrement. Le second jour, devant la pression de l’opinion et des médias, j’ai convaincu ma source. Mais si on se rappelle bien, sur la publication des écoutes Bettencourt, on avait aussi connu une énorme violence. Le Monde les avait refusées tandis que nous on avait exigé les 21 heures du majordome. On a fait le tri, on a eu un débat en interne, c’était ici d’ailleurs (il ouvre grand les bras au milieu de ce qu’on pourrait appeler la salle de conférence de rédaction de Mediapart) et on y est allé.
>> A lire aussi : L’édito de Frédéric Bonnaud : Mediapart confronté au syndrome français de la preuve
Sur Cahuzac, il semblerait qu’il y ait un blocage un peu différent.
L’affaire Cahuzac est un super révélateur de ce que sont les affaires sous la gauche. Un reportage de Media magazine rapporte la scène suivante: en marge d’une conférence de presse de Cahuzac, la journaliste de Média magazine demande à un confrère pourquoi personne ne pose de questions sur son compte. Le journaliste méfiant répond carrément : « j’ai connu Bérégovoy, j’ai connu Woerth… » C’est incroyable, Woerth est quand même mis en examen ! Ça me rappelle quand Laurent Mauduit (journaliste d’investigation à Mediapart) a sorti l’affaire Tapie : je me souviens très bien d’un titre d’un article des Echos : « Le dossier est vide ».
Les médias seraient donc frileux, voire démineurs, chaque fois que vous sortez une affaire ?
C’est un énorme problème pour le journal, cette pratique du journalisme de commentaire. A la télé, tu lances un sujet, et il y a un mec qui est pour, un qui est contre. Nous, on s’est construit contre la société du commentaire. Je revendique qu’on produise de l’intranquilité, y compris chez les confrères. On ne tape pas sur les médias, c’est d’abord un écosystème qu’on dénonce, la situation capitalistique des médias en France. Nous, on est un journal de combat. La guerre, on la gagne comme ça, sans concession. Pour moi, il n’y a pas de journalisme d’investigation. Nous sommes un site d’information.
Comment vis tu « la tempête » autour de l’affaire Cahuzac ?
A chaque fois, tout ça me plaît malgré tout. S’il n’y a rien (sur le compte suisse supposé de Cahuzac), je l’ai dit, je me couvre la tête de cendre et j’arrête le métier. Sauf que je ne vais pas arrêter. Même Cahuzac dit « il y aura un mort, soit Mediapart, soit moi« . Plenel est un capitaine quand le navire est dans la tempête, il est debout sur la table. Bonnet (le rédacteur en chef de Mediapart, ndlr) pareil. Quand il y a eu l’article du JDD, il m’a dit : « On est là. » C’est cul-cul à dire mais il y a un truc de camaraderie hyper précieux. Plenel s’est mis lui-même dans la balance, ça je ne l’oublierai jamais, quand il a dit : « On en a plus que quand nous avions sorti l’affaire du Rainbow Warrior. »
Recueilli par Geoffrey Le Guilcher
Retrouvez le nouveau numéro des Inrockuptibles en ligne ici et en kiosque le 20 mars. Au sommaire : le prodige pop Woodkid, notre dossier sur Mediapart et une rencontre avec le créateur de séries Tom Fontana.
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