Lav Diaz signe un face-à-face à distance sous forme de longue errance dans un pays malade du crime.
Auteur d’une filmographie faite de gros blocs, Lav Diaz signe, avec Quand les vagues se retirent, un de ses films les plus courts. Trois heures au cours desquelles deux anciens amis, flics corrompus, vont tout faire pour se retrouver après une sombre et inachevée histoire vieille de trente ans. L’un, Hermes, s’est retranché sur une île, tandis que l’autre, Primo, emprisonné depuis, est aujourd’hui fraîchement libéré. S’engage alors une traque vengeresse entre deux types qui vont s’enfoncer peu à peu dans leur propre folie.
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Lav Diaz fait se métamorphoser le thriller en une longue errance anxiogène, où l’on se pourchasse à distance entre les villes, les champs et les plages. Cette promenade dangereuse est baignée de sources vives de lumière, souvent de raies franches qui cisaillent une nuit poussiéreuse et immobile. C’est une hypnose sous tension, une sorte d’hyper-nuit avec laquelle les êtres se débattent.
“Les corps déambulent, luttent, agonisent”
Au cours de la longue alternance de scènes qui constitue le film, nous suivons les deux antagonistes jusqu’à une séquence d’affrontement ultime, une variation shamanique, maritime et absurde de Heat. Une bien vaine comédie où les douleurs se libèrent. Ce regard désespéré, Lav Diaz le construit pierre après pierre. Ce n’est pas un cinéma du désespoir absolu mais celui d’une tristesse élaborée, amassée, solidifiée. Comme le cinéaste se refuse à découper les scènes et filme en lumière naturelle, il restitue le temps, les lieux, les êtres, les peaux et les folies dans leur plus pure nudité. C’est par-dessus qu’émerge alors une absurdité corporelle : les corps déambulent, luttent, agonisent, dans une théâtralité saisissante.
Le territoire de l’île y est fascinant parce qu’il semble se rétrécir à mesure que le film progresse : les vagues s’en retirent peut-être véritablement, laissant une terre en friche (une île pour dire toutes celles des Philippines). De dos, l’ancien détenu la contemple, planté dans la nature du paysage. Sa peau malade lui dessine un trou béant dans le crâne, comme un vampire brûlé au soleil. En écho à cela, son adversaire se meut péniblement dans la pénombre moite d’une chambre d’hôtel, entouré de prostituées alanguies.
On cherche le sang dans la nuit
Cette quête de vengeance, si elle est librement inspirée du Comte de Monte-Cristo et rappelle les errances dostoïevskiennes, pourrait tout aussi bien se passer au fin fond de la Transylvanie, là où l’on cherche le sang dans la nuit. Entre les vagues et les potagers, les cris des coqs et les soleils fébriles, la magie noire qui se dégage du film en devient obsédante. Lav Diaz s’éloigne ici des catastrophes climatiques ou des révolutions avortées dont les Philippines sont le terrain pour en saisir une détresse plus intime. Derrière le crime qui gangrène le pays, c’est tout une mélancolie qui s’abat sur son peuple. Lancé sur le littoral, “J’emmerde les Philippines” devient un transcendant cri d’amour pour une patrie malade.
Quand les vagues se retirent de Lav Diaz, avec John Lloyd Cruz, Ronnie Lazaro, Don Melvin Boongaling (Phil., Fr., Dan., Por., 2022, 3 h 07). En salle le 16 août.
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