La jeune rappeuse de Vancouver est en concert à Paris cette semaine : on l’avait rencontrée avant sa date au Social Club au mois de juin. Pour les retardataires, rendez-vous au Café de la presse ce mercredi 26 octobre dans le cadre de Pitchfork avant-garde.
Tommy Genesis aime cultiver le mystère autour de sa jeune carrière. Signée sur l’excellent label d’Atlanta Awful Records, la rappeuse originaire de Vancouver ne communique pas plus sur son âge que sur l’origine de ses influences. Entre la sortie de son premier album (World Vision) en 2015 et la préparation de sa suite (logiquement intitulée World Vision 2), elle a publié quelques belles promesses de constance, comme en témoignent les récentes séquences de rap minimalistes diffusées sous son nom de scène ou avec baby.daddi, le nouveau groupe né pour accompagner vos pool parties de l’été 2016. Préférant s’effacer dans un sourire, souvent accompagné d’un regard fixe et d’un long silence, la Canadienne n’évoquera ni son âge, ni la ville où elle réside et encore moins ses collaborations avec sa pote Abra. L’essentiel des questions a tout de même survécu à l’entretien. Belle occasion de dévoiler une héritière de la génération Internet et d’annoncer un album qui pourrait être l’une des bonnes surprises de la deuxième moitié de 2016.
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Au départ tu voulais faire l’interview en français. Où as-tu appris à si bien parler la langue ?
Tommy Genesis – J’ai suivi des cours de français pendant presque toute ma scolarité et cette langue m’a toujours intéressée. Je viens de Vancouver et même si l’ensemble de la population est anglophone, il y a toujours une option français à l’école. Je crois que j’ai dû en faire pendant douze ans ! Aujourd’hui j’ai un peu de mal avec la conjugaison et la grammaire, il y a certains mots que j’oublie et puis cette histoire de « passé composé » reste compliquée à cerner (rires). Je préfère répondre aux interviews en anglais du coup. Mais oui « Je parle français ».
https://soundcloud.com/tommygenesis/they-cum-they-go
Tu as eu quelques dates à Montréal et New York récemment mais je crois que ce sont tes premiers concerts en Europe. Tu étais en Allemagne avant d’arriver en France, comment était l’ambiance ?
J’aime beaucoup l’atmosphère de New York, les quartiers chauds. Le concert là-bas était un peu dingue, c’est peut-être mon meilleur souvenir de concert. La salle était remplie et tout le monde s’est ramené sur scène à la fin. Comme d’habitude, j’avais laissé traîner mon téléphone sur la table de mon DJ et quelqu’un s’est barré avec. J’étais déjà venue en Europe quand j’étais gamine mais c’était dans le cadre d’un échange scolaire en Espagne donc ça ne compte pas vraiment. En Allemagne, je me suis beaucoup amusée. Certaines salles étaient vraiment cool. Surtout à Stuttgart et à Francfort où on a joué dans une ancienne prison remplie de graffitis bizarres. L’énergie était folle et puis on a très bien mangé. (rires) Il n’y avait que des jeunes kids de mon âge. On s’est bien défoulé.
Tu as quel âge d’ailleurs ?
(rires). Non, ça je ne le dis à personne.
Sans vouloir essayer de choper des indices sur ta date de naissance, la musique avait une place importante dans ta famille et dans ton éducation ?
Ma mère joue du piano et mon père a toujours adoré la musique. Il traîne toujours avec son casque ou ses écouteurs. Beaucoup de personnes dans ma famille sont impliquées dans la musique d’une manière ou d’une autre mais elles jouent de leur instrument dans leur coin, un peu en secret. Sans trop faire de bruit. J’ai grandi dans un environnement où la musique était importante et puis je joue moi-même du piano de temps en temps.
A quel moment as-tu commencé à croire que tu pouvais faire carrière dans le rap ?
Honnêtement, je n’arrive toujours pas à y croire. Je prends surtout ça comme mon truc du moment. Je suis contente de faire de la musique mais je n’ai pas envie de laisser cet aspect de ma vie me définir entièrement. C’est une grosse partie de moi et le plus important c’est que je continue à prendre du plaisir tout en continuant à découvrir ce que je suis capable de faire.
Tu as commencé à te faire connaître au moment où tu as rejoint le label Awful mené par Father mais j’ai l’impression que c’est surtout le clip du morceau Execute qui a tout changé pour toi.
Avant Awful je n’avais pas beaucoup de visibilité. Il y avait quelques unes de mes chansons qui traînaient sur Internet et j’avais aussi sorti une mixtape qui avait un peu tourné. Mais rien de fou. World Vision était mon premier projet abouti. Il n’y a que dix tracks donc ce n’est pas suffisant pour montrer tout ce que j’ai envie de faire. La vidéo d’Execute a certainement constitué un point de départ pour me faire connaître. C’est un clip que j’ai réalisé et j’ai aussi participé à la post-production. J’étais dans une école d’arts visuels mais je travaille sur Final Cut et j’ai appris à éditer des vidéos grâce à Internet en regardant des tutoriels sur YouTube. J’ai appris à maîtriser plein de logiciels en regardant des vidéos en ligne. C’était pareil pour Logic ou Pro Tools. J’avais oublié presque tous mes cours mais grâce aux tutoriels en ligne n’importe quel kid de ma génération peut devenir autodidacte.
Pour la musique tu as suivi le même chemin ?
Oui, j’ai quelques notions théoriques mais pour tout ce qui a à voir avec la production, j’ai tout appris en ligne ou grâce à l’aide d’amis. Ce n’est pas si difficile de construire une prod cohérente aujourd’hui. Parfois je peux partir d’une idée, d’une vision, et ça me prend des heures pour aboutir à ce que je voulais au départ. Mais il arrive aussi que je ne sache pas vers quel type de prod je veux tendre. Dans ce cas, je télécharge plein de packs de sons et je les bricole jusqu’à ce que le résultat me plaise.
Comment s’est passée la prise de contact avec Father et Awful Records ?
C’est Father qui m’a contactée sur Internet. Awful c’est vraiment sa création. La rencontre s’est d’abord faite en ligne et puis je suis allée à Atlanta et j’ai pu rencontrer toute l’équipe. Je suis la seule personne qui n’est pas d’Atlanta mais je ne le ressens absolument pas. On est une équipe d’amis proches, une famille. Awful Records est la structure idéale pour créer de la musique.
Aujourd’hui tu es toujours à Vancouver ou tu as rejoint l’équipe à Atlanta ?
Peut-être que j’habite entre les deux…
https://twitter.com/tommygenesisxxx/status/745305019147292672?lang=fr
La plupart des articles qui te concernent insistent sur le fait que tu es une fille qui fait du rap. Ca ne te fatigue pas d’être constamment réduite au rang de « rappeuse » au lieu d’être considérée et abordée comme n’importe quel autre artiste rap masculin ?
Les gens écrivent ce qu’ils veulent et ils ont la liberté de te coller l’étiquette qu’ils choisissent. Je ne me fais pas trop de souci par rapport à ça. Je suis une fille qui fait de la musique, okay. Après, si les gens préfèrent retenir la première partie de la phrase c’est leur problème.
Les membres du label seront présents sur ton second album qui arrive cette année ?
Peut-être, oui… Pour l’instant je suis assise sur une tonne de tracks et je ne sais pas encore lesquelles je vais garder sur l’album. Je suis toujours en phase de sélection et j’ai envie de faire très attention à ce que je vais sortir. World Vision 2 sera un disque beaucoup plus réfléchi que ma première sortie.
En marge de la préparation du nouvel album, tu as aussi un nouveau projet qui arrive sous le nom de baby.daddi. Tu peux nous en dire plus ?
Oui, on vient tout juste de sortir les premières chansons ! C’est un projet beaucoup plus pop avec une atmosphère estivale. Un truc beaucoup plus détendu que ce que j’ai l’habitude de faire. Pour moi ce n’est pas vraiment un groupe mais plutôt une réunion. On s’est retrouvé à essayer des trucs avec mon pote Ye Ali et Wes Period et puis ça a bien pris. On a décidé de sortir un EP tout en gardant le côté fun et détendu des enregistrements. Rien n’était prévu au départ. Sur mes albums j’ai un contrôle total et je suis limite psychotique, je vérifie tout. Ce genre de collaborations me permet de tenter des choses que je ne ferais pas sur mes disques. La vision n’a rien à voir avec celle de mon album.
Tu écoutais quel genre de musique quand tu étais ado ?
J’ai eu une grosse phase émo. Je n’écoutais que de la musique triste, le genre de groupes avec des guitaristes aux yeux grands ouverts et embués de larmes. (rires). Ensuite j’ai écouté tout un tas de trucs plus énervés : j’ai eu une époque où je n’écoutais que du punk. Puis pareil avec le metal. J’ai souvent changé de style de musique en fonction des groupes d’amis avec lesquels je traînais. Aujourd’hui je suis toujours très attentive à ce que mes amis écoutent.
On a parlé de ton travail sur les vidéos mais tu fais aussi de la peinture et de la sculpture. Tu es toujours impliquée dans le monde de l’art la musique a définitivement pris le pas sur ton autre passion ?
J’ai programmé quelques expositions et j’ai géré la direction artistique de deux ou trois galeries d’art par le passé. Pendant longtemps je passais tous mes week-ends dans les expos, j’allais assister à des conférences… J’étais assez impliquée dans le monde de l’art contemporain mais plus ça allait, plus je me rendais compte du côté prétentieux de certaines personnes. C’est un univers qui peut être très excluant. Quand j’étais dans mon école d’art j’avais l’impression que certains concepts ou théories étaient si importants qu’ils représentaient le centre du monde. Alors qu’en réalité, la plupart des gens s’en foutent complètement. Pour moi la musique est un art beaucoup plus direct. Mon père peut écouter une de mes chansons et capter le délire directement. La porte d’entrée est beaucoup plus grande.
Tu as quand même prévu d’aller voir quelques expos à Paris pendant ton séjour ?
Oui, j’adorerais aller visiter quelques musées. J’ai amené de quoi enregistrer donc je vais un peu bosser sur deux ou trois morceaux. Je vais aussi pas mal me promener dans Paris, j’adore découvrir les villes de cette façon. Et puis la Tour Eiffel quand même. Passage obligé.
Propos recueillis par Azzedine Fall
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