Dans un pays en crise, le musicien Samba Touré ravive l’esprit d’Ali Farka Touré et sort un album envoûtant. Critique et écoute.
Le visage rond fendu d’un immense sourire, à même de convaincre un chamelier d’acheter des snow boots en plein désert, Samba Touré est la jovialité personnifiée. On le croise dans un quartier du centre de Bamako sous une chaleur qui, sans demander votre avis, vous habille d’une armure invisible.
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Samba aimerait croire que son naturel optimiste va lui suffire à chasser la nuée de tracas qui l’assaille. Mais depuis l’instauration de l’état d’urgence, les musiciens maliens le sont aussi, en état d’urgence, et lui, le jovial Samba, n’y échappe pas. Plus de concerts, plus de cérémonies, plus de quoi acheter le “condiment”… “Dimanche dernier, on m’a appelé pour faire le ‘takamba’ dans un mariage qui finalement a été annulé au dernier moment”, se désole ce bienheureux chagriné, le moral en loque. “Ah ! On est vraiment fatigué !” Certes, Dieu est là, et la solidarité fonctionne malgré tout. Quoique l’un et l’autre soient sollicités à l’extrême ces jours-ci…
“J’avais quelques économies, mais depuis que les parents sont venus du Nord trouver refuge sous mon toit, elles ont fondu… J’ai trente personnes à la maison, deux familles entières à nourrir au nom de Dieu, soeurs, neveux, cousins… Si quelqu’un tombe malade, c’est la galère. Les médicaments sont chers ; manger, c’est cher.”
Voilà qui résume l’humeur de son nouvel album, le troisième à l’international, intitulé Albala (“danger”, en songhaï). Un disque de crise avec ses accès de colère, comme Fondora, où Samba invite les fouteurs de merde, coupeurs de route et autres narcojihadistes à aller se faire pendre ailleurs avec leur charia (“Ils disent vouloir nous apprendre à prier/Ils n’ont apporté que haine, violence et tristesse”) ; un disque où pèse une terrible amertume. Il faut écouter Ago Djamba (“La vie nous trompe”) ou Bana (“La Pluie”) qui dit comment l’eau tant attendue dans les villages du Nord après une longue sécheresse a fini par dévaster les récoltes.
L’Afrique n’a pas eu loisir de théoriser le stoïcisme. Mais elle en a en revanche une approche quasi quotidienne, que traduisent à merveille ces chansons. Il en ressort que la vie, dans ces parages inamicaux, ne consiste pas seulement à supporter souffrances, diminutions et désespoirs mais à extraire malgré les difficultés une présence au monde toujours plus intense. Car si les mots d’Albala sont sévères, la musique, elle, y demeure une fête. Originaire de Niafunké et grandi à Diré, deux localités de la boucle du Niger, Samba a commencé par pratiquer au sein du groupe Farafina Lolo, un mix dansant de coupé-décalé ivoirien et de soukouss zaïrois, avant de rencontrer Ali Farka Touré. “Le vieux père m’a dit : ‘Fiston, tu as du talent mais ça, c’est pas ta musique.’ A partir de là, je me suis consacré au style songhaï.”
Samba accompagnera Farka en tournée mondiale à la fin des années 90 et lui rendra hommage dans Songhaï Blues en 2009. Il en est aujourd’hui l’un des plus légitimes héritiers. Tout en reptations, en guitares anguleuses et monocordes stridulants, ce blues efflanqué du delta intérieur du Niger tire de ses modestes atours un pouvoir d’envoûtement incomparable. Vers la fin de l’album, Idjé Lalo propose un takamba, rythme caractéristique du nord sur lequel dansent joyeusement Songhaïs et Tamasheqs lors des festivités. Avec un peu d’imagination, on entend même renaître le grand sourire de Samba.
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