Alors que sort l’excellent 40 ans, mode d’emploi, regards croisés de Judd Apatow et de sa compagne-actrice Leslie Mann sur le couple, la famille, la comédie, l’humour trash et le rapport entre vie privée et vie de fiction.
Elle a la prestance et la vis comica d’une Carole Lombard ou d’une Diane Keaton. Il arbore la quarantaine cool d’un père de famille resté éternel ado. Elle, manucurée comme une star, lui, jeans-baskets. Leslie Mann et Judd Apatow passent par Paris pour la sortie de 40 ans, mode d’emploi, un sommet de l’Apatow’s touch. Dans cette hilarante suite d’En cloque, mode d’emploi, parfaitement écrite, rythmée et jouée de bout en bout, le clan Apatow paraît raconter son quotidien, même si l’on sait que le travail d’écriture met l’autofiction à distance. Il est peu fréquent qu’un réalisateur signe une série de comédies familiales où jouent sa femme et leurs propres enfants. D’où l’idée de les rencontrer séparément pour sonder avec chacun les écarts et les mélanges entre leurs vies privée, publique et fictive.
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« Nous voulons être des époux et des parents parfaits »
Justement, difficile pour eux de séparer le vécu de l’inventé, dans le film. Judd admet que ce dernier est près de l’os et que les différences entre sa famille et sa famille fictive sont ténues :
« Ce ne sont pas les Apatow que l’on voit sur l’écran, mais certains détails sont très justes. Nous sommes aussi des parents nerveux essayant de bien élever nos enfants, nos filles ont des rivalités terribles, nous essayons de garder notre mariage vivant, de ne pas perdre le romantisme de notre relation, nous avons des conflits sur de nombreux sujets quotidiens, l’école, l’éducation, les beaux-parents, comme dans le film… Nous voulons être des époux et des parents parfaits, nous aimerions tout maîtriser mais tout foire tout le temps, et il faut toujours tout reconstruire ! Nous essayons d’améliorer les choses mais ne réussissons qu’à les faire empirer. »
Si Leslie reconnaît cette proximité, elle considère qu’elle n’est que le germe du film, attachant beaucoup d’importance au processus d’écriture et de mise à distance de la fiction. « Si on mettait notre quotidien sur écran, ce serait ennuyeux et pas très drôle. Nous partons de nos vies, mais il y a ensuite tout un travail pour transformer ce vécu en quelque chose d’intéressant et drôle. Ce n’est pas ma vie que vous voyez sur l’écran. »
Si elle est devant la caméra et lui derrière, les frontières sont moins étanches que ça dans leur vie créative. Ils admettent tous deux se parler beaucoup pendant la fabrication de leurs films. Si monsieur écrit et réalise, madame amène beaucoup de remarques, modifs et commentaires, comme si l’écriture et la vie de couple se mêlaient sans cesse. « Je ne suis pas coscénariste, admet Leslie, mais Judd et moi avons une longue et permanente conversation qui nourrit les films. Pour moi, il était important que le point de vue de la femme soit bien représenté. Nos filles aussi participent, nous parlons beaucoup avec elles de leur vécu d’enfant et d’adolescente. C’est bien, c’est rare que des enfants de cet âge aient la possibilité d’exprimer leur créativité dans le contexte d’un film. »
« Je me comporte parfois comme un connard ! »
Judd confirme, mais de façon plus rigolarde. Une fois qu’il trouve l’idée générale du film, il en parle à sa compagne, puis la questionne sur chaque scène. On les imagine en couple hawksien dans ce ping-pong créatif, dialoguant à coups de répliques mitraillettes, tels Cary Grant et Rosalind Russell.
« Nous parlons souvent de nos films, poursuit Judd, mais c’est comme une conversation codée : nous savons pertinemment que nous parlons en fait de nous-mêmes. Sous couvert de personnage, je comprends que c’est à moi qu’elle demande d’avouer que je me comporte parfois comme un connard ! »
Judd Apatow écrit avec l’avis de sa chérie et la filme, ainsi que leurs enfants. Ce mélange est plutôt rare et on en vient à se demander comment la famille Apatow s’y retrouve. Judd ne voit aucune difficulté dans leur relative célébrité. Ils ne sont pas des superstars et leurs apparitions publiques se limitent à la promo de leurs films tous les deux ou trois ans. En revanche, le tressage entre quotidien et fictions est parfois curieux à vivre pour lui. « Je me dis souvent ‘Oh, il faudrait mettre ça dans le film !’ C’est bizarre d’observer aussi précisément sa vie intime : ‘Oh, mes filles sont malheureuses mais ça va être génial pour le film !’ De ce point de vue, je préfère quand nous ne sommes pas en train de travailler sur un film, ça permet de vivre plus normalement. »
De son côté, Leslie adore les films de son mari mais estime parfois que leurs effets sont intrusifs, « comme si les gens savaient des choses de notre vie privée, alors que non. Quand je regarde le film, je fais très bien la distinction entre la fiction et notre propre vie. Je ne suis pas super à l’aise avec ça. Mais attention, travailler dans le cinéma est gratifiant, nous en avons rêvé, ça nous apporte célébrité et confort matériel, je ne vais pas cracher dans la soupe. »
Leurs comédies comme substitut de thérapie familiale ?
Ce qui est également frappant chez ce couple, c’est sa stabilité, dans une ville et un milieu propices aux turbulences conjugales et autres gouffres, dans cette Babylone jadis décrite par Kenneth Anger. On en émet l’hypothèse que leurs comédies fonctionneraient pour eux comme un substitut de thérapie familiale, mais Judd n’y croit qu’à moitié. Il confie que leurs films sont une façon de se dire quelques vérités mais ne leur enseignent rien et qu’ils refont toujours les mêmes erreurs.
« Faire ces films, explique-t-il, ne nous libère pas de nos conflits et de nos problèmes. Mais c’est vrai que la stabilité de notre couple est rare à Hollywood, je m’impressionne moi-même d’avoir réussi cela. C’est un vrai défi, il faut vraiment s’accrocher et vouloir que le couple dure. »
S’il parle de la famille, 40 ans, mode d’emploi n’est pas une comédie destinée à un public familial, du moins pas au sens où l’entend le marketing hollywoodien. Le film est chargé d’humour régressif, de vannes pipi-caca-prout, généralement plutôt gang de potaches rock’n’roll que Walt Disney, plutôt mec que meuf. Mais Leslie assure aimer les films de son compagnon précisément parce qu’ils permettent d’exprimer des choses qu’on n’oserait pas dire dans la vraie vie. Judd admire sa femme pour cette forme de tolérance, cette intelligence qui admet tout du moment que cela sert le film : « Leslie ne dira jamais ‘Ne mets pas ça dans le film, c’est gênant pour nous, c’est trop intime’, etc. J’aime la franchise, y compris sur les aspects les moins reluisants de nos vies. Quand on voit mes personnages sur le trône, péter au lit ou inspecter une hémorroïde, on me dit parfois que je vais trop loin. Mais non, ça ressemble à un matin ordinaire chez moi. Je ne suis pas fier de péter au lit, mais je n’en ai pas honte non plus, ce sont des choses qui arrivent dans la vie.
J’aime justement aller titiller ces zones qui font honte habituellement. La question soulevée par ces vannes cracra, c’est comment maintenir le mystère, la romance, le sex-appeal au sein d’un couple, quand on passe toutes ses journées ensemble pendant des années ? »
http://www.dailymotion.com/video/xwd3pf_40-ans-mode-d-emploi-bande-annonce_shortfilms#.UUhDSlucFOA
Apatow fan de Woody Allen, Cassavetes et Truffaut
Leslie Mann a voulu devenir comédienne parce qu’un plateau était le seul endroit où, paradoxalement, cette flippée de la vie se sentait à l’aise, en confiance. Elle admire des actrices atypiques et peu contemporaines comme Shirley MacLaine ou Ruth Gordon, la Maude de Harold & Maude : « Elles étaient drôles, ne se retenaient pas, lâchaient tout. Je trouve cette manière de jouer très courageuse. C’est très inspirant de voir en action de telles actrices. » Pour sa part, Judd Apatow est fan de James L. Brooks et de son Tendres passions (featuring Shirley MacLaine !), cite aussi le Presque célèbre de Cameron Crowe (inspiré de la vie du grand critique Lester Bangs), Woody Allen (« ses films sont gravés dans mon ADN »), Cassavetes, des émissions télé séminales comme Saturday Night Live ou David Letterman Show, ou encore Truffaut :
« J’adore la série des Doinel, j’aime l’idée de suivre un même personnage joué par un même acteur sur plusieurs années. Ça m’a certainement influencé, puisque je fais un peu la même chose avec mes films. »
Si Leslie souhaiterait espacer un peu les tournages pour pouvoir consacrer plus de temps à leurs enfants, Judd essaie de maintenir ce subtil équilibre hollywoodien qui permet de continuer à faire des films en toute liberté. « Pour l’instant, ça va, j’ai eu suffisamment de films à succès pour pouvoir faire le suivant en toute indépendance, sans que l’on m’impose quoi que ce soit. Si on se mettait à me dicter ce que je dois faire, je baisserai le budget de mon film pour rester libre. » Intelligents, marrants, légers, aussi séduisants et sympathiques que leurs alter ego dans le film. On a beau chercher, mais non : Leslie Mann et Judd Apatow, un couple parfait.
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