Les critiques des “Inrockuptibles” dévoilent leur top 20 des meilleurs films d’une première moitié d’année 2023 déjà riche en découvertes cinéphiles.
Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras
À la fois chronique intime, balayage de l’histoire du New York underground des années 1970-1980 et pamphlet contre l’impunité dont jouissent les puissant·es, à l’instar de Citizenfour (2014), antépénultième film de Laura Poitras, Toute la beauté et le sang versé est, malgré la charge parfois à gros sabots de son activisme, un objet plus complexe qu’il n’y paraît. La cinéaste prolonge d’abord l’antinomie de son beau titre à l’intérieur du documentaire, tout à la fois une ode à la vie et un mausolée.
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Lire la critique de Bruno Deruisseau
El Agua d’Elena López Riera
Histoire de glace, image de feu. Les deux incarnées au plus haut par l’actrice Luna Pamies, Ana belle et rebelle, flottante et indécise, comme une citation sidérante de l’Ophélie de Rimbaud : “Voici plus de mille ans que la triste Ophélie/Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir./Voici plus de mille ans que sa douce folie/Murmure sa romance à la brise du soir.” Tout le reste du poème est la meilleure critique du film. La morale d’El Agua n’en est pas une, mais un programme politique énoncé par ce récit résolument féministe : “Qu’ils aillent tous se faire foutre !”
Lire la critique de Gérard Lefort
L’Éden d’Andrés Ramírez Pulido
Ramírez Pulido a inventé un décor (une hacienda délabrée aux airs de plateau de shooting ruin porn) qui n’a rien d’une prison mais parvient à nous faire croire qu’elle en est une, sans murs ni barreaux sinon la forêt et la torpeur. Dans ce lieu abstrait et paradoxal, son portrait de jeunesse a quelque chose lui aussi d’assez rêvé, voire symbolique : plus qu’une peine à purger, c’est tout un rapport enfoui à leur propre violence auquel sont ici venus se confronter ces jeunes garçons dont certains ne sont pas loin d’avoir littéralement “tué le père”.
Lire la critique de Théo Ribeton
Retour à Séoul de Davy Chou
Davy Chou mène l’épopée virevoltante de cette jeune femme avec une époustouflante virtuosité, transcendée par les qualités de soliste de son actrice Park Ji-min. Malgré la délocalisation de son cinéma en Corée du Sud, on retrouve dans Retour à Séoul les qualités d’envoûtement de ses deux premiers films cambodgiens. Du Sommeil d’or (2011), ce troisième long hérite d’une capacité à rendre compte de la densité du temps, comme une sonde qu’on plonge dans une épaisse couche de sédiments.
Lire la critique de Bruno Deruisseau
Venez voir de Jonás Trueba
Jonás Trueba revient avec Venez voir à une forme beaucoup plus resserrée (une heure), tout en gardant la chaleur hédoniste, mêlée de questionnement sur la condition humaine, qui fait la sève de son cinéma. Ici, plus que jamais, ce cinéma se pare d’un double fond. Sous ses airs ensoleillés et légers, Venez voir s’interroge, par le biais d’un va-et-vient entre un couple à la ville et l’autre à la campagne, sur ce qui constitue une existence.
Lire la critique de Ludovic Béot
L’Île rouge de Robin Campillo
L’Île rouge est un film où les Blancs et les Blanches s’évaporent au son d’un chœur militant qui chante en malgache que la rébellion advient quand on cesse d’être un·e enfant obéissant·e. L’Île rouge est un récit d’apprentissage qui exhausse l’autobiographie de son auteur pour dessiner un bien commun : les raisons de se révolter, hier comme aujourd’hui, toujours et partout. L’Île rouge est un film tous·tes ensemble.
Les Gardiens de la galaxie 3 de James Gunn
Cette vision d’auteur s’observe notamment dans la peinture d’un space opera un peu plus crade que les autres Marvel, à l’image de ces bestioles faites de peau et d’une planète de chair que l’on charcute. Mais c’est finalement et surtout dans la trajectoire de ses personnages que le film séduit. Cette introduction spleenesque sur Radiohead rappelle à quel point la trilogie a souhaité s’attacher à faire émerger des personnages tous cassés (mentalement, physiquement, émotionnellement) et à les refaire fonctionner par la grâce du collectif.
Les Âmes sœurs d’André Téchiné
Les Âmes sœurs, son nouveau long métrage, explore et dialectise une fois de plus ce mystère d’une attirance réciproque mais contrariée par un événement, un interdit (social, familial…), un empêchement du rapport amoureux, érotique, sexuel qui, chez Téchiné, est la source intarissable d’un romanesque vibrant et appelle invariablement la dichotomie : âmes sœurs mais âmes éternellement solitaires. Un motif que le film problématise jusque dans sa structure narrative qui voit, d’abord, les personnages campés par Noémie Merlant et Benjamin Voisin, Jeanne et David, sœur et frère, vivre leur vie loin l’une de l’autre avant d’être réuni·es.
La critique de Marilou Duponchel
Grand Paris de Martin Jauvat
Après plusieurs courts remarqués (Le Sang de la veine, Grand Paris Express, 2021), le cinéaste vingtenaire poursuit dans ce premier long métrage l’étude de la région francilienne et d’une jeune génération qui a soif d’aventures. À la fois chasse au trésor autour d’un mystérieux artefact trouvé dans les artères d’un chantier du Grand Paris, et road movie en duo entrepris en transports en commun, le film de Martin Jauvat redessine avec fougue et générosité l’imaginaire d’un territoire pour mieux le réinventer, loin des stéréotypes et des voies tracées.
Lire la critique de Ludovic Béot
Voyages en Italie de Sophie Letourneur
Letourneur réussit une parodie de la société de loisirs à la fois tout à fait au niveau des attentes du genre (rire toutes les deux minutes, se reconnaître dans des situations médiocres à peine exagérées) et remarquablement riche sur la question du voyage comme récit de soi et comme mise en scène. Voyage qui est finalement la modalité de son récit multicouches, mais pas tant son sujet – ce serait plutôt le couple, dont Letourneur fixe une image très cruelle et juste.
Lire la critique de Théo Ribeton
Loup & Chien de Cláudia Varejão
Portrait croisé de trois adolescent·es et de leur passage à l’âge adulte, le récit décrit la difficulté de vivre avec une identité queer dans certains espaces, que ce soit en raison des idées réactionnaires ou par le caractère insulaire d’un territoire, qui soumet les corps à l’enfermement. Sans en atténuer la charge politique ni sa colère, la réalisatrice subvertit toutefois ce constat violent et inégalitaire en un tableau doux et contemplatif, qui retranscrit avec merveille la chaleur de l’été et sa brièveté enveloppante.
Vers un avenir radieux de Nanni Moretti
Ce qui éblouit ici, c’est la résilience que prône le cinéaste italien. Faisant face à l’adversité, intime ou professionnelle, il se bat pour une haute idée du cinéma : non pas comme photocopie du réel dans sa banale abjection, mais comme possibilité de faire advenir un autre monde. Et dans un finale particulièrement émouvant, le temps d’une chanson, plutôt que de se lamenter de l’impossibilité d’avancer collectivement, il donne à voir ce que serait, ou ce qu’aurait été, ce monde meilleur.
Indiana Jones et le Cadran de la destinée de James Mangold
Finalement, la saga Indiana Jones a fini par exaucer les rêves les plus fous après lesquels courent ses principaux protagonistes – s’affranchir de la finitude humaine, percer le secret du temps, atteindre par la magie à une forme d’omnipotence. Dans la fiction, tout le monde se dispute ce cadran d’Archimède qui permettrait de conjurer l’écoulement irréversible du temps. Dans la matière du film, les effets numériques accomplissent le projet d’Archimède, maîtrisent parfaitement les mécanismes secrets du cadran de la destinée.
La critique de Jean-Marc Lalanne
Nos cérémonies de Simon Rieth
Devant Nos cérémonies, on éprouve la sensation de pénétrer alors dans un monde déjà très en place, avec la sûreté d’un regard pour témoin et l’expression limpide d’un accomplissement formel renversant. Le film orchestre la mise à mort de ses figures tutélaires (le père, le frère emblème d’une masculinité outrancièrement jouée et exhibée comme un super-pouvoir maudit) comme on déboulonnerait des statues en héritage, celles qui empêchent Noé et le film tout entier de jouir.
La critique de Marilou Duponchel
Trenque Lauquen de Laura Citarella
Le film de Laura Citarella s’avance d’abord lentement, malaxant une forme à combustion lente qui privilégie volontairement les contretemps et les détours avant de déployer avec autant de complexité que de clarté toutes ses ramifications. Une patiente préparation au voyage, pour laisser s’installer les spectateur·rices, les maintenir dans un sas de décompression avant de les projeter dans le vortex narratif qui va bientôt les avaler.
L’Amitié d’Alain Cavalier
En réalité, l’amitié se lit dans le regard que porte le cinéaste sur chacun·e. L’amitié, c’est L’Amitié, le film. Ce sont donc des sourires et des rires complices entre gens qui ont eu des plaisirs et des souvenirs en commun, que nous ignorons pour la plupart mais que nous devinons parce que nous savons bien ce que c’est, l’amitié. C’est l’amusement de mettre l’autre en scène, de lui faire jouer son propre rôle.
La critique de Jean-Baptiste Morain
Showing Up de Kelly Reichardt
L’art épuré de Kelly Reichardt, mélange de rusticité et de raffinement, prend dans ce film un visage sibyllin. Et s’il donne finalement à voir quelque chose, ce quelque chose est d’une simplicité si pure qu’elle en est presque transparente, invisible. Showing Up est un hymne discret au faire et au care, plus qu’à la parade ostentatoire, il est une délicate comptine sur l’obstination à créer malgré toutes les contingences environnantes.
La critique de Bruno Deruisseau
De humanis corporis fabrica de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor
Ce serait mentir de dire que le documentaire se regarde sans souffrance. Il s’adresse à autre chose qu’à nos affects ou à notre rétine, c’est notre corps tout entier qu’il remue. Notre corps, mais aussi le corps de la salle de cinéma. Son visionnage vaut autant pour ce qui se passe à l’écran que pour l’observation du public.
Lire la critique de Bruno Deruisseau
The Fabelmans de Steven Spielberg
Après la démonstration de force qu’était West Side Story (2021), Spielberg s’autorise ici la fragilité, le dénuement, voire par endroits le relâchement – et c’est absolument sublime. L’aboutissement de presque six décennies de carrière, débutée en 1968, à 22 ans, par un modeste mais significatif contrat de réalisateur de télévision à Universal, où jamais personne n’avait signé aussi jeune.
Lire la critique de Jacky Goldberg
Suzume de Makoto Shinkai
La vraie singularité de l’auteur japonais est à chercher ailleurs. C’est sur le franchissement d’un seuil, d’un passage entre des multivers que repose les récits enchevêtrés et (littéralement dans le cas de son dernier film) à clef de Shinkai. Le vertige émotionnel et visuel inouï que produisent ses films vient d’un art sans pareil de mise en scène du frottement entre les multivers.
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