Cinq ans après Doin’ It Again, Skepta vient récolter les lauriers de la consécration avec Konnichiwa, quatrième album tout à fait représentatif du nouvel âge d’or que le grime est en train de traverser. Portrait.
Après quelques années au purgatoire, le grime, c’est plus que jamais une certitude, est de retour au sommet, emmené par de jeunes pousses à la démarche radicale (Stormzy, Novelist) et une vieille garde toujours aussi inspirée (Wiley). Situé pile entre ces deux générations, Skepta, tel le liant entre la tradition et l’innovation, est indéniablement la figure de proue du rap anglais ces dernières années. Et son curriculum vitae est du genre à donner des sueurs froides à vos contacts Facebook les plus côtés: en dix ans, le rappeur londonien a vendu plus d’un million de singles en Angleterre, a fondé le collectif Meridian Crew (nommé ainsi en hommage à la rue qui l’a vu grandir dans le quartier de Tottenham) et le collectif/label Boy Better Know aux côtés de son frère (le rappeur JME), a collaboré avec des musiciens venus d’horizon divers (Blood Orange, Earl Sweatshirt, Ratking et même l’acteur Idris Elba), s’est produit aux côtés de Kanye West lors de la cérémonie des Brit Awards 2015 et est l’auteur d’un des meilleurs titres de l’année dernière (Shutdown).
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Histoire de parfaire un parcours presque exemplaire, l’Anglais vient de publier son quatrième album, Konnichiwa, dont le prodige, derrière une évidente capacité à réunir un casting XXL, où l’on retrouve aussi bien de fidèles comparses (Wiley, Novelist, JME) que des artistes internationaux plus étonnants (Pharrell), se cache surtout son talent pour intégrer des langages mal adaptés à la pureté – le UK Garage, l’argot, le dancehall, la drumb and bass,… – dans des assemblages de rap bluffants d’évidence et de vitalité. Le meilleur exemple s’écoute sur le cinglant Man, dont la façon de s’accaparer un titre des Queens Of The Stone Age (Regular John) pour le transformer en un breakbeat cagneux résume presque à lui seul la finesse d’écriture, l’audace artistique et la consistance du projet.
« Il m’a dit que tu étais un grand fan/Mais la première chose que tu m’as demandé quand tu m’as vu, c’est/ «Puis-je avoir une photo pour mon Instagram ?»/ J’étais genre : «Non, désolé, mec/Je me socialise uniquement avec mon crew et mon gang» ».
« This ain’t a culture, it’s my religion »
Pour comprendre comment Joseph Junior Adenuga, 33 ans, en est arrivé là, il faut remonter un peu arrière. En 2003, plus précisément. C’est à cette époque que Wiley, l’un des pères fondateurs du grime avec l’influent Terrible, conseille à celui que l’on connaît uniquement en tant que producteur d’empoigner un micro, de cracher ses mots et de prendre son destin en main. A travers Greatest Hit (2006), Microphone Champion (2007) et tous les brûlots que ces deux premiers efforts charrient (Too Many Man, Sunglasses at Night et Rolex Sweep), il propose alors un portrait convaincant de l’Angleterre des bas- fonds, le majeur sensiblement plus relevé que la plupart de ses contemporains. À l’image des errances de Dizzee Rascal à la fin des années 2000, la suite est moins séduisante. Doin’ It Again, en 2011, se perd dans des intentions plus prévisibles, pompières et surtout moins subversives.
Toujours à l’affût des dernières tendances pouvant alimenter son compte en banque, P. Diddy lui ouvre alors les portes de l’Amérique, mais c’est bien depuis son quartier de Tottenham que Skepta convainc le monde entier de son talent de performeur et de son intransigeance. Après tout, comme il le soulignait au Guardian en septembre 2015, le grime n’est pas une culture, c’est sa religion. Et il est visiblement prêt à tout pour la garder authentique. Ainsi, qu’il remporte un Culture Clash face à Major Lazer et Magnetic Man à la Wembley Arena de Londres en 2012 face à plus de douze mille spectateurs, qu’il lâche à peine 80 livres sterling pour la réalisation du clip de That’s Not Me en 2013, qu’il se rende en Jamaïque en 2014 et signe le jeune prodige Newbaan dans la foulée, qu’il soit nommé « Artiste de l’année » aux Grime Awards de 2015 ou qu’il signe dernièrement Drake sur BBK, Skepta opère toujours selon même procédé : à l’instinct, sans concessions.
L’année dernière, le rappeur se permettait ainsi d’organiser son propre concert en toute illégalité dans le quartier de Shoretidch à Londres. La scène se déroulait sur l’un des parkings d’Holywell Lane où Skepta avait monté un sound-system. « L’anarchie est la clé » comme mot d’ordre, les bières et les spliffs comme armes de création, le rappeur et ses acolytes se lançaient alors dans une performance surchauffée, révoltée, interrompue après quarante minutes par des forces de l’ordre incapables pour autant de mettre la main sur les auteurs de ce happening décharné. « Want to know how I did it with no label, no A-list songs?/ I told them, blud, I just shutdown ».
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